Cinq Minutes – 2

Cinq Minutes

par Harriet

Avertissements : voir la 1ère partie

6ème partie

Andy retourna dans sa chambre, s’écroula sur le lit et pleura. Elle sanglota près d’une heure avant de s’endormir, allongée tout habillée en travers de la jetée de lit. Quelques temps plus tard, Brad la réveilla, le visage marqué par l’inquiétude.

« Eh, chérie, tu vas bien ? » demanda-t-il de la voix douce qui avait charmé Andy plusieurs mois plus tôt. Sa gentillesse la transperça.

On y est, pensa-t-elle. Fais le maintenant. Tu te dois bien ça. « Non, » répondit-elle d’une voix enrouée et elle éclata à nouveau en sanglots. Immédiatement, il l’enlaça amoureusement ce qui la fit se détester encore plus. « Non, arrête ! » supplia-t-elle. « Tu ne te sentiras pas aussi généreux quand tu auras entendu ce que j’ai à dire. » Elle renifla sans délicatesse et attrapa un mouchoir en papier sur la table de nuit.

Il se tut et se détendit un peu sur le lit. « Ça ne semble pas bon. »

« Non, je suis horrible. »

« Andy, voyons… qu’est-ce que… »

« C’est fini, » dit-elle rapidement, souhaitant que tout s’arrête même si elle devait rentrer par un vol en classe touriste le soir même. Sa carte American Express pouvait lui en payer encore un. Probablement.

Sa figure s’allongea et il laissa échapper un petit gémissement malheureux. « Tu ne veux pas dire…nous ? » demanda-t-il doucement.

De nouvelles larmes s’écoulèrent et son visage se décomposa. « Si. Je suis désolée. »

Lentement, il frotta son front d’une main. « Bon dieu, j’étais tellement sûr cette fois. » Avec un soupir, il s’écroula sur le matelas. « J’ai essayé. Vraiment. »

Andy voulait mourir. « Je sais, Brad, je suis si désolée de te faire souffrir – j’ai beaucoup d’affection pour toi, mais il y a juste que… je ne peux pas… t’aimer comme tu mérites d’être aimé. Comme tout le monde mérite d’être aimé. Je comprendrai si tu ne veux pas me revoir. Je peux partir ce soir. »

Il regarda vers elle. « Partir ? »

« Ouais. Est-ce que tu ne … » Andy commençait à se demander pourquoi il ne semblait pas un peu plus contrarié. « N’es-tu pas… Hmm… furieux ? »

« Est-ce parce qu’on ne faisait pas beaucoup l’amour ? » demanda Brad en la regardant avec attention.

« Einh ? »

« Le sexe. C’était ça ? »

Il semblait complètement sérieux. « Non ? »

« Tu ne semblais pas te soucier qu’on ne le fasse pas trop souvent. »

Andy se gratta l’arrière de la tête sans y réfléchir. « Hmmm… »

« Qu’est-ce que c’était alors ? Comment as-tu réalisé ? »

Quelque part au cours des trente dernières secondes, Andy avait perdu le fil de la conversation. « Quoi ? »

« Ou… tu n’avais pas réalisé. Dieu, Andy, quelle pagaille ! »

« De quoi parles-tu ? »

« Je pensais que tu pouvais le dire ou quelque chose comme ça. »

« Le dire, » répéta Andy. Elle regarda au fond des yeux de Brad et soudain toute la lumière se fit. Sa mâchoire tomba. « Arrête ! Tu n’en es pas !’

Il fronça les sourcils. « Comme j’ai dit. J’ai essayé. »

Andy se sentit si stupide, elle aurait pu se botter les fesses sur tout le trajet de retour de Cannes à New York. « Dis-le moi ! Là maintenant, à haute voix. »   Il tressaillit et elle leva un sourcil menaçant. « Tu me dois bien ça. »

« Je suis plutôt gay, » dit-il.

Le monde d’Andy s’arrêta, puis redémarra quelques secondes plus tard. « Eh bien, c’est pratique, » grommela-t-elle jetant un coup d’œil au-dessus de l’épaule de Brad, se remémorant le goût délicieux de la gorge de Miranda sous ses lèvres.

« Je suis désolé… Il y a juste que je pensais vraiment que ça pourrait marcher. Tu es si merveilleuse et si agréable, et tout le monde dans la famille est fou de toi, et  nous aurions peut-être pu avoir des enfants ou quelque chose… »

« Oh, doucement. Des enfants ? Tu voulais te marier ? Avec moi ? »

« Ben, ouais, » dit-il.

« Est-ce que tu ne veux pas, tu sais, tomber amoureux ? » demanda-t-elle incrédule.

« Je peux aimer une femme comme n’importe quel gars, » dit-il et Andy pinça ses lèvres. « En gros. Eh, tu viens de dire que tu n’avais pas deviné. Ce n’était pas si mal ? »

Andy secoua la tête pour le rassurer et négligea de dire que ces derniers mois, quand ils faisaient l’amour, elle passait son temps à imaginer Miranda. « Pas mal du tout. C’était bien. Je n’aurais pas cru. »

« Tu sembles moins contrariée maintenant, » dit-il en se rapprochant un peu. « J’espère que je ne t’ai pas blessée dans tes sentiments. »

« Mes sentiments, » répondit Andy en riant un peu. « Ça va. J’étais plus inquiète pour toi. »

Il appuya son front contre le sien. « Tu es quelqu’un de bien, Andy. La meilleure. »

« Je n’en suis pas sûre, » dit-elle en chuchotant.

« Tu aurais fait honneur aux Huntington. »

Elle réfléchit pendant quelques instants. « Est-ce que tu me l’aurais dit ? » demanda-t-elle avec curiosité.

« Je le voulais. » Il s’allongea à nouveau contre l’oreiller et Andy s’écroula à côté de lui, la tête appuyée sur sa main. « Probablement pas. »

« Alors tu m’utilisais. »

« Non ! » dit-il avec fermeté. « Je ne t’utilisais pas. Je veux dire, si, je le faisais, mais, tu sais, par pour de mauvaises raisons. »

« Pourquoi alors ? »

Il la regarda comme si elle était folle. « N’est-ce pas évident ? »

« Non. »

« Mon père. »

« Quoi, ton père ? »

« Il me renierait. »

« Alors, c’est à cause de l’argent ? »

« Non ! Il me haïrait, il me rejetterait. Dieu, j’ai assez de problèmes. Je ne le supporterais pas. Il serait si… déçu. Et furieux. Je suis son seul fils. »

C’était un poids énorme qui pesait sur les épaules d’un jeune homme, particulièrement quelqu’un de sensible comme Brad. « Tu veux dire en termes d’héritage. »

« Mon père appartient à l’une des meilleures familles, Andy. Il n’y a pas d’homos dans le clan Huntington, aussi loin qu’on puisse regarder. Il a emprunté cent mille dollars à mon grand-père il y a quarante ans et il a bâti l’un des groupes média les plus puissant au monde. Et il a travaillé dur pour trouver le succès. Contrairement à moi, » dit Brad en se couvrant les yeux. « Je n’ai jamais eu un vrai travail, tu sais ? Tout m’a été donné sur un plateau. »

Andy avait du mal à éprouver de la sympathie. « Ça doit être bien. »

Il lui jeta un regard menaçant. « Ouais, jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce que tu réalises que si tu n’es pas à la hauteur, tu n’es plus dans le coup. C’est une sacrée pression ! Et je l’ai toujours caché. Je savais que j’étais… comme ça depuis longtemps, mais c’était plus facile de faire semblant. Je ne pouvais pas le supporter. Pas avec Maman partie. »

« Tu te serais retrouvé seul, » déclara Andy qui comprenait soudain.

« Ouais. Il ne me pardonnerait jamais, » répondit-il.

Andy vit des larmes se former dans les yeux de Brad. Elle ressentit une bouffée de compassion pour lui, surtout parce qu’elle n’avait pas connu le même parcours émotionnel dans les mêmes circonstances. En quelque sorte, elle avait juste… accepté ses sentiments pour Miranda de la même façon que l’on réagit à une catastrophe naturelle. Ce sera comme ça à partir de maintenant alors tu ferais mieux de t’y faire. Ses parents l’aimeraient, même si elle faisait son coming out, bien qu’ils seraient moins compréhensifs en ce qui concerne Miranda. Mais ce n’était plus un problème maintenant. « Et Jazz ? »

Il grogna. « Elle a beaucoup d’amis gays, mais c’est différent d’avoir des amis gays et d’avoir un frère gay. Je lui avait soumis l’hypothèse il y a quelques années et cela ne l’avait pas enchantée. »

« Que veux-tu dire ? »

« Oh, tu sais bien. Je l’avais juste suggéré. ‘Ça ferait quoi si j’étais pédé’  et elle a été mortifiée. Embarrassée. Et c’était réglé. »

Andy ferma les yeux. « Je suis désolée. »

Il rit amèrement. « Pas ta faute. Bien que j’ai pensé que tu serais mon laissez-passer pour la vie hétéro. »

« C’est pénible d’être utilisée, » dit-elle, tentant de ranimer une colère vertueuse mal placée.

Il haussa les épaules. « Ouais, mais reconnais qu’on forme une bonne équipe. »

Elle se laissa tomber à côté de lui. Avec un soupir, elle dut acquiescer. « Je t’ai utilisé un peu aussi. »

« Pour ton boulot ? » suggéra-t-il.

Oh oui. Ça, se souvint-elle. « En quelque sorte. Et quelque chose d’autre. Pour… oublier quelqu’un. » C’était assez proche de la vérité.

Brad se mit sur le côté et la regarda d’un air triste. « Quelqu’un que tu aimes ? »

Ceci causa un nouvel afflux de larmes, bien que cette fois, Andy les combattit. « Peut-être ». Elle ne pouvait appeler amour ce qu’elle ressentait pour Miranda. Cela lui briserait le cœur.

« Alors, je suis désolé aussi, Andy. » Il l’attira dans ses bras et elle laissa couler ses larmes.

Andy ne quitta pas Cannes ce soir-là. Elle et Brad commandèrent par le service d’étage et ils demandèrent à être excusés de la première du film à laquelle ils devaient assister. Et que Miranda aille se faire voir. Si elle pensait qu’Andy était en train de baiser Brad par  revanche ou pour satisfaire son excitation, ça lui convenait.

Jasmine ne manqua pas d’y faire allusion le lendemain. « Alors toi et mon frère ne pouviez pas vous détacher l’un de l’autre ? » Elle sourit.

Andy gloussa. « Nan, » dit-elle simplement. Particulièrement pas après qu’ils aient presque vidé deux bouteilles de vin au cours d’un repas de quatre plats et d’une énorme crème brûlée. Le réveil avait été désagréable mais ils s’en étaient remis admirablement.

« Si je pouvais avoir autant de chance, » expliqua Jasmine. « Les hommes ici sont soit mariés, soit gays. Ou ce sont de metteurs en scène et Dieu sait que je n’en veux pas. »

« Je vois ce que tu veux dire, » dit Andy et elles choquèrent leurs verres. Son appareil photo discrètement à l’abri de son nouveau sac Balenciaga, Andy laissa son regard parcourir l’assemblée de célébrités assistant à une autre réception. Brad était ailleurs en train de parler avec des gens du milieu du cinéma et Andy n’avait pas vu Miranda de la soirée. C’était une bonne chose.

Dix minutes plus tard, Andy réalisa combien c’était une bonne chose. Parce que lorsque Miranda se présenta au bras d’Alex, elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Toujours si jolie en noir charbon, les épaules nues de Miranda l’attiraient et Andy se souvint de leur douceur sous ses lèvres. Elle maudit la traîtrise de son corps qui réagissait au quart de tour, les pointes de ses seins durcissant sous sa robe. Andy ferma les yeux, puis se détourna, prenant son appareil et se mettant à la recherche de quelque chose d’intéressant à prendre.

Une vingtaine de clichés plus tard, l’objectif d’Andy fut attiré de nouveau par des épaules blanches et une chevelure argentée. Rapidement, elle prit deux photos sans flash avant de continuer ailleurs. Il était facile de se laisser distraire par l’environnement, si l’on considérait la beauté des femmes et des hommes qui circulaient dans la salle et posaient pour elle de façon de façon si libérée. Certains demandaient qui elle était, d’autres lui faisaient un petit signe de la main et posaient, beaux sans faire d’effort. Elle donna sa carte à une cinquantaine de personnes et espéra que tout le monde serait content de ses photos.

Ce fut un soulagement de voir la réception arriver à son terme. C’était leur dernière nuit en France. Une semaine, c’était assez long pour rester partie, considérant que tout le voyage n’avait pas tourné comme elle l’avait espéré. Et elle n’avait pas passé suffisamment de temps en tête à tête avec Miranda.

Avant qu’elle ne parte, elle repéra Miranda qui se dirigeait dans sa direction et à sa grande honte, elle paniqua. Elle se retourna dans la direction opposée et fit de son mieux pour courir dans des talons de 10 centimètres. « Seigneur, je vous en prie, permettez-moi de ne pas tomber, » murmura-t-elle alors qu’elle détaillait la foule à la recherche de Brad. Elle ne le trouva pas, mais identifia quelqu’un de presque aussi bien : Jasmine, Eliza et Rebekah formant un petit cercle avec quatre ou cinq jeunes hommes présentant bien. Andy se précipita au milieu du groupe, sans même être embarrassée d’être un peu essoufflée. « Alors, comment ça va ? » s’exclama-t-elle.

Deux des hommes regardèrent dans sa direction, l’air intéressé et elle n’envisagea même pas de regarder par-dessus son épaule pour voir si Miranda l’avait suivie. Ça m’est égal, se dit-elle. Ça m’est égal.

Même si ce n’était absolument pas le cas.

7ème partie

Miranda

« Passez-moi Lagerfeld ! » aboya Miranda, attentive à ne pas toucher son front. Elle avait la migraine et le désir de se masser les tempes était irrépressible. « Avant la fonte des calottes polaires, s’il vous plaît ! »

« Il est en avion, Miranda. Il atterrit à Milan dans moins de deux heures, » répondit Chelsea depuis le bureau extérieur.

« Alors passez-moi Michael ! »

« Je viens juste de parler avec Colin. Il sera de retour dans l’heure. »

« Pour l’amour de Dieu, personne ne travaille aujourd’hui ? »

« Patrick attend votre appel, Miranda. »

Miranda soupira avec agacement. « Non. Je ne suis pas satisfaite du travail qu’il a accompli sur Angélique. Laissez Nigel s’en occuper. Je ne peux plus supporter la moindre jérémiade. »

« Bien sûr. »

« Et je veux cette veste grise que j’ai vue ce matin sur la 7ème avenue. »

Chelsea était debout et dans le bureau de Miranda en un instant. « Au sud de la 54ème rue ? »

« Mmm, » fit Miranda. « Je ne me souviens pas. »

« Pas un problème. Je vous l’apporterai après le déjeuner. »

« Bien, » répondit-elle sans faire attention. Elle ne se souciait pas vraiment de l’heure à laquelle la veste arriverait, du moment qu’elle arrivait. Quelque chose l’avait frappée dans cette veste. Sa ligne élégante, assortie avec une jupe crayon noir, cela ferait un ensemble parfait pour…

Miranda se redressa dans son fauteuil. « Emily, » s’écria-t-elle. Immédiatement, elle se blâma d’avoir haussé la voix.

« Oui ? » Chelsea courrait presque en retournant dans le bureau.

« Je ne veux pas de la veste, » dit-elle en gardant un ton de voix égal.

« Bien sûr. »

« Apportez-moi le plat de poisson de chez Le Bernardin pour déjeuner. Annulez mon steak ! »

« Oui Miranda. »

« Et dites à Nigel que s’il ne revient pas avec les modifications nécessaires pour l’article sur les accessoires à 14 heurs, il est viré. »

« Oui Miranda. »

Si elle devait entendre une personne de plus dire « Oui Miranda », elle allait se planter son stylo plume dans la jambe. Tout lui tapait sur les nerfs. « Je veux ces Blahniks que j’ai demandées ce matin. Où sont-elles ? »

« Juste ici, » répondit Chelsea en se précipitant à nouveau dans la pièce.

En un instant, huit boîtes se retrouvaient sur son bureau. Miranda fut momentanément impressionnée et regarda la fille, si désireuse de plaire. Si absolument dévouée pour donner à Miranda tout ce qu’elle voulait, aussi rapidement que possible.

Bon Dieu ! Parfois, Chelsea lui rappelait Andrea et aujourd’hui était un de ces jours. Des yeux sombres regardaient Miranda par dessous des cils peints, de jolis sourcils, un front lisse. Et le sourire, si hésitant et incertain. Les souvenirs de Miranda retournèrent sur cette même expression que portait le visage d’Andrea dans sa chambre d’hôtel à Cannes. Juste avant qu’elles ne s’embrassent pour la première fois.

Miranda serra des dents et ressentit une pointe de douleur fuser depuis sa joue jusque dans la tempe. Elle s’étrangla à la sensation et Chelsea s’inquiéta. « Miranda, vous allez bien ? »

« Ma tête, » grogna-t-elle avant de se souvenir qu’elle ne se permettrait pas de montrer ainsi une faiblesse à un sous-fifre si elle n’était pas déjà distraite. « Ce n’est rien. »

« J’ai de l’Advil… »

« J’ai dit que ce n’était rien. »

Chelsea se mordilla la lèvre et regarda par terre.

Miranda apprécia de voir la fille perdre contenance. Au moins, elle n’était pas seule à être malheureuse.

Deux semaines après leur retour de France, Miranda avait prévu de retrouver Alexander pour dîner chez lui. Miranda était sûre qu’il n’était pas loin de lui faire sa déclaration, un événement qui, à une époque, l’aurait rendue heureuse.

Enfin, aussi heureuse que Miranda préférait l’être, c’est à dire pas beaucoup.

Elle réservait ses moments de bonheur les plus chers quand elle contemplait une fois par mois la version définitive du Book. Perfection totale. Cela lui faisait toujours quelque chose, même après toutes ces années. Le Bonheur était de remettre un (ou une) adversaire à sa place. Se sentir invincible. Et c’était aussi rentrer à la maison où personne ne la jugeait ou la traitait de difficile ou de provocante ou d’insupportable.

Alexander pensait qu’il la connaissait. Ce n’était pas le cas. Il ne savait que ce que Miranda voulait qu’il sache : qu’elle était dévouée à son travail et ses enfants. Qu’elle avait un goût impeccable. Qu’elle serait une partenaire idéale pour lui pour de nombreuses raisons, la moindre d’entre elles étant qu’en présentant un front uni, ils pourraient progresser professionnellement encore plus que ce qu’ils pourraient accomplir séparément. Si Atlas et Elias-Clark devaient s’associer, rien ne pourrait les arrêter.

Cependant, Alexander ne savait pas que parfois, Miranda manquait d’assurance quant à son âge et sa peau, son corps. Il ne savait pas que même si elle n’était pas une passionnée de musique, elle était embarrassée par le fait que Puccini, un compositeur terre à terre s’il en est, pouvait parfois la faire pleurer. Il ne savait pas que le désordre pouvait la rendre folle ou qu’elle était violemment allergique aux chats.  Il ne savait pas que son père était mort quand elle avait onze ans et qu’il lui manquait encore aux moments les plus inopportuns.

Mais Alexander était un homme bien, gentil et prévenant. Généreux parce qu’il avait les moyens de l’être. Il était né riche, contrairement à Miranda qui avait dû lutter pour atteindre sa position de rédactrice en chef en utilisant ceux qu’elle avait dépassés. Cette énergie n’avait pas diminué bien que sa façon d’atteindre ses objectifs se soit modifiée considérablement. Maintenant, il n’y avait plus de cris et de hurlement, plus de colères. Uniquement un calme pouvoir auquel tout le monde répondait. Ceux qui ne réagissaient pas de façon appropriée étaient écartés et on n’en entendait plus parler.

Une fois ou deux seulement, Miranda sentit sa conscience la chatouiller. Une fois, avec Nigel. Les autres fois, elle s’était forcée à l’oublier. Il était trop tard de toutes façons. Elle s’était façonnée par choix et elle ne changerait pas. Et si elle montrait trop d’elle-même, il y avait toujours la possibilité qu’elle soit rejetée. En fait, c’était une certitude. Personne n’avait survécu plus longtemps que sept ans avec Miranda avant de se retrouver broyé en tous petits morceaux. Elle avait détruit trois mariages et les trois hommes qui allaient avec. Même Stephen qui, à une époque, avait été aussi aimant et généreux qu’Alexander. Il l’avait vraiment adorée, peut-être plus que tous les autres.

Mais c’est parce qu’il ne l’avait pas vraiment connue. Et elle ne lui en avait jamais laissé la possibilité.

Et c’est pourquoi elle était si furieuse avec elle-même et que tout le monde autour d’elle en souffrait. Elle avait tant pris l’habitude de garder ses distances qu’elle le faisait de façon instinctive, mais cette stupide fille s’était glissée quand Miranda ne faisait pas attention. Miranda ne pouvait même pas dire ce qui l’attirait chez Andrea. Ce n’était pas son innocence que Miranda avait surestimée considérablement quand elles travaillaient ensemble. Ce n’était pas sa beauté, alors qu’elle était entourée de  spécimens bien plus beaux tout au long de ses journées. Ce n’était pas sa douceur qui était agaçante ou ses gloussements ridicules qui étaient encore plus agaçants.

Ce n’était pas son intelligence ou son talent ou son enthousiasme qui, une fois, lui avaient fait penser à elle-même. Elle était bête. Arrogante. Maladroite. Faible.

Mais quand Miranda pensait  à Andrea, ce qu’elle avait essayé d’éviter pendant plusieurs semaines maintenant, elle se sentait ramollir, un peu comme une glace sortie du congélateur. Elle se retrouverait à transpirer, à penser à des choses romantiques qui n’avaient aucun sens. Apprécier l’élégance d’un avant-bras et la façon dont il s’amincissait en un étroit poignet et une petite main. Admirer une longue chevelure glissant sur des épaules qui avaient semblé, à une époque, aussi larges que celles d’un joueur de football américain, mais qui s’était transformées, elle ne savait comment, en quelque chose de beaucoup plus charmant.

Et l’humour qui apparaissait modérément du temps de leur relation professionnelle était beaucoup plus présent ces jours-ci. Miranda fut surprise de constater qu’Andrea était l’une des rares personnes qui pouvaient la faire rire.

Le pire était que Miranda appréciait être en compagnie d’Andrea, peut-être plus qu’en compagnie de n’importe quelle autre de ses connaissances.

Miranda se sentait comme ces vieux bonshommes qui avaient tenté de l’attraper autour de leur bureau vingt-cinq ans plus tôt. Une attirance pour quelqu’un de si jeune était obscène et le fait qu’elle soit une femme rendait la chose cent fois plus inconvenante.

Miranda ne pouvait pas croire combien tout ça était ridicule.

Mais une fois de plus, elle ne pouvait pas le nier non plus. Andrea l’avait touchée. C’était aussi simple et aussi compliqué que tout ce qui lui était déjà arrivé.

Mais maintenant, c’était fini. Et Miranda se forcerait à oublier. Elle était très bonne pour ça.

Malheureusement, le plan de Miranda pour oublier Andy fut déjoué. Andrea n’arrêtait pas de se retrouver à proximité de Miranda que ce soit à des réceptions, à la demeure des Huntington, au restaurant ou dans des galeries d’art.

Mais ce soir-là, même Miranda ne s’attendait pas à voir Andrea assister à une manifestation sponsorisée par Runway au profit du Centre Sloan-Kettering pour la recherche sur le cancer du sein.

Au bras de Bradley.

Ceci mit Miranda en colère plus que n’importe quoi d’autre. Elle lui avait menti à propos de sa rupture avec lui après leur… incident dans la chambre d’hôtel. Mais les deux jeunes gens semblaient encore plus ensemble et chaque fois que Miranda les voyait, son estomac se serrait. Avant, Miranda avait été certaine que cette relation n’était pas sérieuse. Particulièrement une fois qu’Andrea avait commencé à montrer son intérêt envers Miranda. Ceci renforça son opinion qu’Andrea ne faisait qu’utiliser Bradley pour rester proche d’elle. Miranda avait attendu pendant des semaines ce premier moment, seule avec Andrea. La tension avait été insupportable. Electrique. Elle ne pouvait se souvenir d’une attraction plus puissante envers un autre être humain, peut-être même jamais. Et le baiser qu’elles avaient partagé… Il avait jeté de l’essence sur des braises qui n’avaient pas flamboyé si vivement depuis des années.

Et maintenant, elle ne pouvait plus éteindre le feu. Elle se haïssait pour ça. Elle haïssait Andrea encore plus.

La fille était éblouissante ce soir-là. Dans une robe bustier sombre aux drapés de soie qui laissaient deviner de longues jambes, elle faisait battre le cœur de Miranda. Celle-ci détourna le regard,  agrippant fermement le biceps d’Alexander. La douleur perçait ses tempes avec chaque respiration.

« Chérie ? » demanda Alexander. « Tout va bien ? »

« Mmm, oui, » murmura Miranda, qui tâchait de respirer de façon égale dans l’espoir que la douleur diminuerait avec le temps… et de l’alcool. « Pourrais-tu me rapporter un verre de pinot gris ? »

« Bien sûr. Je reviens. » Il tapota sa main et disparut dans un océan de corps, laissant Miranda enfin seule.

Les yeux clos, Miranda inspira, expira. Encore. La nausée diminuant, elle ouvrit les yeux. Et tomba directement sur le regard inquiet de la seule personne à qui elle ne pouvait permettre de constater sa tristesse. Elle détourna les yeux et pria pour que quelqu’un la sorte de cette situation. Les secours vinrent sous l’apparence de Jonathan Adler (NDT : artiste, potier et décorateur d’intérieur) et son compagnon qui, en temps normal, pouvaient la rendre folle. Ce soir-là, ils furent ses sauveteurs et Miranda leur sourit alors qu’ils l’engageaient dans une conversation inepte. Qu’importe. Ils gardaient Andrea à distance et c’était le plus important.

Plus tard, son mal de tête était toujours là, mais Miranda n’y faisait plus autant attention. Le vin aidait à engourdir la douleur et tout le reste. Il troublait sa vue de telle sorte qu’elle ne pouvait se concentrer sur la peau pâle d’Andrea qui semblait nimbée d’une aura éthérée dans la pénombre de la pièce. Elle n’était pas ivre, mais elle n’en était pas loin. Au moins, la soirée était presque terminée. « Pardonne-moi, chéri, » dit-elle à Alexander qui était plongé dans une conversation avec l’un des membres du conseil d’administration de Viacom. « Je reviens. »

Il lui sourit gentiment  et elle s’échappa vers des toilettes privées pour dames, à l’étage et loin de la foule. Le calme la soulagea. Elle s’assit en face du miroir dans la partie salon et reposa sa tête dans ses mains.

Le silence dura moins d’une minute et fut rompu par le grincement de la porte battante qui la prévint de la présence d’une autre personne. Miranda n’était pas contente lorsqu’elle regarda le reflet dans le miroir.

« Est-ce que tu vas bien ? » demanda Andy d’un ton doux et gentil.

« Va-t-en ! » répliqua Miranda d’une voix rauque.

Cela la surprit. « Quoi ? »

« Cette salle de bain est privée. Va-t-en ! »

« Miranda, tu as l’air souffrante, » reprit Andy tout en s’avançant.

Voyant cela, Miranda se leva et trébucha contre la console. « Ne m’approche pas ! Ne me parle pas ! »

« Je t’en prie, Miranda. Laisse-moi t’aider… »

« Je ne veux pas te voir. Aide-moi en me laissant tranquille. Pour de bon. » Miranda sentit ses lèvres s’entrouvrir en un sourire mauvais. « Et en ne me jetant pas Bradley à la figure continuellement. »

« Quoi ? » La gentillesse disparut. « Qu’as-tu dit ? »

« Je vais rompre avec lui, Miranda« , imita-t-elle. « Je ne l’aime pas ». Eh bien, tu sembles toujours être avec lui. Toujours accrochés l’un à l’autre. C’est dégoûtant. »

« Tu ne comprends pas… nous… je ne suis pas… » Andrea plaça une main sur son front, décontenancée. « Attends une seconde ! Tu n’as pas le droit de me dire ça. Je ne te vois pas sur le point de rompre avec Alexander. Bordel, que croyais-tu que j’allais faire ? Laisser tomber mon petit ami alors que toi et Alex étiez toujours ensemble ? C’est ça que tu voulais ? »

Sarcastique, Miranda répondit. « Je me moque de ce que tu fais. »

Les yeux d’Andy s’écarquillèrent. « Menteuse, » gronda-t-elle en serrant des dents.

Miranda s’avança, les yeux enflammés de colère.  « Je ne t’ai jamais menti. Tu as menti. Tu as dit que tu allais le quitter. »

« Tu n’as pas la moindre idée de ce qu’il y a entre moi et Brad. »

« Et je ne veux pas le savoir. Va-t-en ! »

« Non ! » cria Andy. « Tu as dit qu’il ne se passerait rien entre nous et je t’ai prise au mot. Tu voulais un après-midi, quelques heures  ensemble. Je voulais plus. Tu m’as repoussée parce que tu préfères être avec Alex qui a de l’argent, le statut social et le pouvoir. C’était ton choix. Le tien. » Andrea se mordilla la lèvre avant de reprendre son souffle. « Je t’aurais choisie, Miranda. Je t’aurais toujours, toujours choisie. » Elle secoua la tête en souriant d’un air désabusé. « Tu sais, tu serais si facile à aimer si tu n’étais pas une telle sacrée foutue salope. »

Exaspérée, Miranda se jeta en avant. Avant qu’elle n’ait pu vraiment apprécier l’idiotie de ses actions, elle balança sa main pour gifler le visage magnifique d’Andrea, mais celle-ci fut plus rapide. Elle attrapa le poignet de Miranda et avec son autre main, elle la poussa contre le mur. Puis Andrea fut sur elle et tout le reste s’effaça.

Elle était irrésistible, l’attraction furieuse des lèvres d’Andy qui dévoraient les siennes, sa langue qui forçait son passage dans sa bouche. Miranda gronda de colère et s’approcha encore, ses doigts tirant sur des cheveux qui étaient encore plus doux qu’ils n’en avaient l’air. Ce n’était pas ce qu’elle voulait se souvint Miranda. Cette fille, dont les lèvres s’emboîtaient si parfaitement aux siennes, était le problème. Une cuisse se glissa entre celles de Miranda et elle cria. Les mains d’Andy saisirent ses fesses et elle la poussa contre elle de façon rythmée, ce qui envoya un flash de quelque chose si primal au centre de Miranda qu’elle frissonna. Elle tira plus fort les cheveux d’Andrea, suçant la bouche qui s’était accrochée à elle. Il était difficile de respirer, mais soudain, respirer n’était plus aussi important que de mettre ses mains sur ces formes. Et elle tendit les bras. Le mouvement des hanches contre elle s’accéléra, la plaquant contre le mur et Miranda entendit les sons désespérés émis par la gorge d’Andrea. Mais  quand celle-ci rejeta d’extase  la tête en arrière, l’image fut suffisante. Miranda se cabra en un orgasme inattendu, le plaisir faisant vibrer tout son corps comme un tremblement de terre. Andrea releva les yeux, surprise. « Oh, » s’écria-t-elle et poussa deux fois de plus avant que son expression ne se fige, puis fondit en complète extase. Elle gémit pendant tout ce temps et Miranda inspira  l’odeur de sa peau comme si elle était en manque.

Hébétée, elle resta où elle était, sans retirer ses mains de leur position autour de la taille étroite d’Andrea. Elle trembla, sa rage et tout le reste purgés de son corps. Il ne restait rien derrière que de la confusion. Des yeux marrons s’ouvrirent et leur tristesse coupa le souffle à Miranda. Elles se regardèrent longuement jusqu’à ce que Miranda se détourne.

« Je pensais vraiment ce que j’ai dit, » dit Andrea d’une voix enrouée. « Ce serait si facile de t’aimer. » Elle embrassa à nouveau Miranda, causant de nouveaux frissons. « Je n’avais pas l’intention que ça se passe comme ça. Je suis désolée. » Andy s’éloigna d’elle, semblant juste réaliser où elles étaient et ce qu’elles avaient fait. « Je suis désolée. »

Miranda ne dit rien. Elle ne pouvait pas. Un moment plus tard, Andrea était partie, ne laissant derrière elle qu’un soupçon de son parfum et son goût dans la bouche de Miranda.

Miranda n’aurait pas pu dire combien de temps s’était écoulé avant qu’elle ne se redresse et s’écarte du mur. Elle avait les jambes faibles. Bien que son corps semble lent à répondre aux ordres de son cerveau, elle se sentait… bien. Finalement, elle s’assit sur le siège qu’elle occupait quand Andrea était entrée dans la pièce. Dans le miroir, elle s’observa. Ses yeux étaient brillants, ses joues rosies. Son rouge à lèvres était barbouillé, mais sinon, elle semblait bien. Pas comme si elle avait eu un orgasme exceptionnel contre le mur de toilettes publiques. Encore assommée, elle resta sans bouger un certain temps, sans penser à rien.

Finalement, elle réalisa qu’elle ferait mieux de se rajuster et de retourner à la réception. Elle se demanda pour un court instant comment Andrea s’était débrouillée en retournant auprès de Bradley.

Alors qu’elle sortait de la salle de bain, ayant l’air parfaitement bien, Miranda ne remarqua pas que son mal de tête était passé.

8ème partie

Miranda fit ce qu’elle put les jours suivants pour se sortir de l’esprit ce second incident. C’était cependant plus facile à dire qu’à faire. Alexander ne remarqua rien sortant de l’ordinaire, peut-être parce que Miranda se tuait au travail. Elle le vit à peine, pas plus que ses filles ou toute autre personne en dehors de Chelsea les quatre jours suivants. Au matin du cinquième, elle était d’une telle humeur que personne à Runway ne voulait passer par le couloir si l’on savait qu’elle était dans son bureau. Et bien que Miranda s’en rende compte, ça lui était égal. Elle avait une migraine épouvantable et la douleur était pire que tout. Le Tylenol la soulageait quand elle se rappelait d’en prendre, mais elle se dit qu’il était peut-être temps d’aller consulter le Docteur Sarayen. Nigel aurait sûrement recommandé un antipsychotique. Miranda, à ce stade, aurait sûrement sérieusement réfléchi à cette offre.

Cet après-midi là, le Docteur Sarayen lui posa une centaine de questions sur sa douleur. A la fin, elle secoua juste la tête. « C’est de la tension, Miranda. Vous grincez des dents et vous serrez vos mâchoires. Quand avez-vous vu votre dentiste pour la dernière fois ? »

Miranda releva un sourcil en réaction. « L’année dernière. Mes dents n’ont rien. »

« J’irais voir quelqu’un bientôt à votre place. Vous pourriez avoir besoin d’un protège-dents. »

« Non, » répondit Miranda sèchement. Elle ne subirait pas l’humiliation de porter une telle chose.

Le docteur leva les yeux au ciel. « Cela pourrait vous aider, particulièrement si vous voulez garder vos dents. En attendant, et uniquement cette fois, je veux bien vous prescrire du Valium en petite dose. Ne buvez pas d’alcool avec ! Prenez 5 milligrammes avant de vous coucher ! Appelez-moi dans une semaine s’il n’y a pas de différence et on passera à 10 ! Mais pas plus. » La femme tapota l’épaule de Miranda et celle-ci tenta de ne pas froncer des sourcils. « Vous faites toujours du yoga ? »

« Non. »

« De l’exercice ? »

Miranda pinça les lèvres. « Pas récemment. Je n’ai pas le temps. »

Le Docteur Sarayen la regarda avec cet air que prennent tous les médecins quand leurs patients font des choses qui ne sont pas bonnes pour eux. « Il faut vous y remettre. Particulièrement au yoga. Cela va vous aider pour vos maux de tête et votre sommeil. » Elle écrivit rapidement quelques mots indéchiffrables sur une feuille de papier. « Voici votre ordonnance. Appelez-moi comme je vous ai dit ! Et pour l’amour de Dieu, faites quelques chose qui vous rend heureuse de temps en temps ! »

Miranda eut un petit rire étouffé, pleine d’amertume. « Heureuse ? »

Le médecin pencha la tête sur le côté. « Oui, heureuse. Vous savez contente. Joyeuse. Réjouie. Même vous devez vous souvenir de ce que cela fait d’être heureuse de temps en temps, non ? »

Même vous, pensa Miranda. Elle cligna des yeux. « Bien sûr. Mais la vie n’est pas seulement une question d’être heureuse. Rien n’est aussi simple. » Le médecin haussa des épaules. « Peut-être. Mais parfois, c’est simple. Regardez un coucher de soleil. Lisez un livre. Faites une belle promenade. Passez du temps avec quelqu’un que vous aimez. Essayez juste de vous faire plaisir cinq minutes par jour. » Quand Miranda ouvrit la bouche pour protester, le médecin agita la main pour l’interrompre. « Cinq minutes. C’est tout ce que je demande. OK ? »

« Bon. » Juste parce qu’elle acquiesçait ne voulait pas dire qu’elle devait le faire.

« Très bien. Maintenant, du balai. J’ai repoussé un cas d’allergie au sumac vénéneux pour vous recevoir et le pauvre gars doit être en train de se gratter au sang »

Ce soir-là, Miranda n’alla pas voir Alexander. Elle quitta délibérément le travail à temps pour dîner avec ses filles pour la première fois depuis un certain temps. Mais une fois entrée dans la maison, le silence la surprit. « Les filles ? » appela-t-elle.

Pas de réponse.

« Il y a quelqu’un ? »

Elle entendit des bruits de pas venant de la cuisine. Michèle s’essuyait les mains avec un torchon. « Bonsoir Mme Priestly. Vous rentrez de bonne heure. »

« Je voulais dîner avec mes filles. »

Le visage de Michèle se figea. « Elles ne sont pas ici ce soir, Madame. Elles passent la nuit chez une amie. Je ne vous attendais pas avant minuit, mais laissez-moi vous préparer quelque chose à manger… »

« Quand ai-je donné ma permission aux filles de passer la nuit à l’extérieur ? »

« Mardi après-midi. Nous vous avons appelée pour avoir votre accord et vous avez répondu que ça allait. »

Miranda la regarda d’un air soupçonneux. Elle n’avait pas le moindre souvenir de cette conversation.

« Je ne les aurais pas laissées y aller autrement, Madame Priestly. Je vous jure. Vous avez été… eh bien… elles savent que vous travaillez dur et elles veulent juste vous faciliter la vie. Vous pouvez avoir votre samedi matin pour vous. Elles seront de retour à midi et ensuite, nous avons des tickets pour l’exposition E. Hopper au Musée Whitney.

Voudriez-vous venir avec nous ? Je pensais que vous travailleriez ou que vous seriez avec Mr. Huntington, mais je sais que les filles seraient emballées. »

Miranda perdit un peu de son souffle. Il y avait seulement quelques semaines, elle avait mentionné cette exposition à Cassidy et elle avait dit qu’elles devraient y aller toutes ensemble. Le talent artistique de Cassidy avait commencé à s’épanouir l’année précédente et Miranda était sûre  que l’élégance austère de Hopper lui plairait. « Vraiment ? » demanda-t-elle très doucement.

« Bien sûr. Cassidy a dit que vous l’avez mentionné, mais vous avez été si occupée et elle ne voulait pas vous déranger. » Miranda vit que la fille commençait à paniquer. « Vous pouvez prendre mon ticket. Cela m’est égal. » Elle joignit ses mains brièvement avant de les remettre le long de son corps. « Elles préfèreraient passer leur temps avec vous qu’avec quelqu’un d’autre. Elles vous aiment. »

« Mmm, » fit Miranda, le cœur un peu plus lourd. « Non merci. Allez-y toutes les trois ! J’ai des projets avec Alexander. »

Michèle hocha la tête. Miranda se sentit satisfaite de l’avoir effrayée. La jeune femme le méritait. « Très bien. Si vous changez d’avis, dites le moi ! Je vais partir, à moins que vous n’ayez encore besoin de moi ? »

« Non, » répondit Miranda et la fille décampa, probablement soulagée d’en avoir réchappé en un seul morceau.

Et voilà. Depuis son bureau, elle entendit le bruit de la porte se fermer quelques minutes plus tard et la maison se retrouva parfaitement silencieuse.

Elle travailla sans s’arrêter jusqu’à minuit quand la douleur à la mâchoire se rappela à elle. Peut-être que se coucher tôt ne serait pas une mauvaise idée. Elle ferma le Book et monta à l’étage, ignorant la sensation de solitude quand elle jeta un coup d’œil dans la chambre vide de Caroline en allant vers sa propre chambre. Rapidement, elle se prépara pour se coucher et s’installa en soupirant sous l’épaisse couette. Le flacon orange contenait dix petites pilules et elle en attrapa une qu’elle avala avec de l’eau. « Cinq milligrammes, » ronchonna-t-elle. Ça valait la peine d’essayer.

Les mots du Docteur Sarayen lui revinrent à l’esprit alors qu’elle regardait fixement le plafond. Cinq minutes par jour. Miranda considéra qu’elle pouvait trouver le temps avant de s’endormir. Elle pensa à ses filles, mais leur absence lui faisait mal. Elle pensa à Alexander. Elle pensa au travail.

Elle gaspilla trois minutes avant de se rendre à la raison et elle laissa enfin son esprit se concentrer sur Andrea. Miranda imagina ces lèvres pulpeuses le long de sa nuque, lui  murmurant des douceurs, des mots qu’elle ne pouvait pas distinguer même dans son fantasme. Des mains douces massaient son cou douloureux et  soulageaient sa mâchoire sensible avec une tendresse qui lui serra le cœur.

Ce n’était pas réel, mais elle fut heureuse, si ce n’est que pour un moment.

Huit jours plus tard, Miranda prit la main d’Alexander alors qu’il l’aidait à descendre de la voiture. Ils avaient passé le début de la soirée à faire le tour des nouveaux bureaux pour son équipe d’encadrement et maintenant, ils allaient retrouver le reste de la famille à la maison pour un dîner tardif. Alors qu’elle regardait par-dessus son épaule, elle vit Bradley et Andrea s’approchant d’elle tranquillement bras dessus bras dessous tout en riant. Alexander murmura dans son oreille. « Ils forment un joli couple, non ? »

« Mmm, » fit Miranda, incapable de répondre de façon plus explicite.

« Tu… tu aimes bien Andy, n’est-ce pas chérie ? »

Miranda ouvrit la bouche pour parler, prête à répondre quelque chose de vague quand Andrea tourna la tête et leurs regards se croisèrent. L’éclair qui traversa son corps ne la surprit pas, mais il était particulièrement inopportun. Au lieu de répondre, elle expira avec attention et rejeta en arrière ses cheveux. Elle tapota l’avant-bras d’Alexander alors que le silence entre eux était brisé par les salutations joyeuses de Bradley.

Alors qu’ils suspendaient leurs manteaux et se saluaient à l’intérieur, Miranda éprouva des difficultés à parler. Avec détachement, elle se demanda comment elle allait passer le reste de sa vie, ou du moins une partie, à voir Andrea et à la désirer et à résister à la tentation.

Ou à ne pas y résister.

Miranda pencha la tête sur le côté. Elle avait trompé Alexander, aussi bien en pensée qu’en action. Comment était-elle devenue ce qu’elle avait toujours méprisé ? Deux de ses trois mariages s’étaient achevés pour cause d’infidélité qui n’était pas de son fait. La trahison sous toutes ses formes la révoltait. Aussi, cela n’avait aucun sens qu’elle y ait succombé aussi facilement et sans en ressentir la moindre culpabilité.

Mais Miranda réfléchit à la véritable question : pourquoi trompait-elle Alex pour commencer ?

Elle tapota son menton d’un doigt. Pourquoi se privait-elle, elle qui était la déesse de l’industrie de la mode, lanceuse de tendances ? Elle avait atteint tous les objectifs qu’elle s’était fixés, elle était au pinacle d’une carrière qui comptait tant de sommets qu’il était presque impossible d’en faire le compte. Mais ici, de l’autre côté de cette pièce se trouvait quelqu’un qu’elle désirait désespérément et qu’elle pourrait avoir si elle tendait simplement la main. Andrea avait été très claire sur ce point. Je t’aurais toujours, toujours choisie, avait dit Andrea et Miranda la croyait. Les mots résonnèrent dans son esprit alors que son mal de tête la submergeait et que sa vision s’assombrit un instant.

Serait-ce si horrible d’aimer Andrea ? Cela la rendrait-elle faible et stupide ? Miranda ne pouvait le dire. La jeune femme était une donnée inconnue. Ambitieuse, sans aucun doute et motivée, mais avec une pureté et un enthousiasme qui, chez toute autre personne, auraient semblés puérils. Et elle était fondamentalement le contraire de toutes les personnes auxquelles Miranda avait été attirée.

Elle jeta un coup d’oeil au décor sobre et élégant. Alexander avait des goûts raffinés qui correspondaient aux siens. Sa personnalité était puissante et tout au long de sa vie, il avait connu autant sinon plus de réussites que Miranda. Ses enfants étaient, Dieu merci, à l’âge adulte et il aimait bien les jumelles pour autant qu’il les connaisse. Il était son égal à tous les niveaux.

Sauf un.

Avant qu’elle ne puisse poursuivre ses réflexions, Miranda entendit à proximité quelques chuchotements furieux. L’une des voix était celle d’Andrea et ses yeux étaient écarquillés quand Miranda les regarda dans ce qui semblait être une dispute entre elle et Bradley. Andrea remarqua que Miranda les observait, mais au lieu de cacher sa tristesse, son chagrin sembla s’accroître. Quelques chose d’horrible s’était passé. Bradley l’avait fait souffrir d’une façon ou d’une autre et c’était inadmissible. Miranda s’apprêtait à charger vers eux quand Jasmine l’intercepta et lui tendit une coupe de champagne. « Voici, Miranda, » dit la jeune femme.

« Merci, » répondit Miranda tout en fronçant les sourcils. Elle prit la coupe, mais garda un œil sur Andrea.

« Vous avez aimé les nouveaux bureaux ? »

« Quoi ? » fit Miranda tout en détournant avec difficulté son regard.

« Sur la 5ème Avenue. Est-ce que Papa ne vous y a pas emmenée ? »

« Oh si. » Miranda sirota son champagne avec impatience. « Très jolis. »

« Je les adore. Papa, quand vas-tu emménager ? »

« Dans huit semaines environ, » répondit Alexander tout en se glissant près de Miranda et en passant sa main autour de sa taille. « Ils commencent les peintures mardi et ils posent la moquette la semaine d’après. »

« Je veux un bureau pour moi, » gazouilla Jasmine et l’attention de Miranda fut brièvement détournée alors qu’elle se demandait ce que Jasmine pourrait faire dans un bureau en dehors d’envoyer des SMS à ses amis et de parler au téléphone. Au moins, Bradley avait montré un certain intérêt aux affaires. Miranda jeta un coup d’œil dans sa direction, un sourcil relevé. Elle n’avait pas choisit son moment car à ce moment précis, il était en train de porter la main d’Andrea à ses lèvres pour la baiser. Andrea haussa les épaules et lui fit un demi-sourire.

Miranda aurait donné cher pour savoir ce qu’il venait de se passer.

« Allons nous asseoir au salon, » suggéra Alexander tout en l’attirant dans cette direction.

Miranda répondit sans marquer d’opposition. « Bien sûr. »

Miranda laissa Alexander et Jasmine bavarder au sujet des bureaux jusqu’à ce que, quelques minutes plus tard, elle entende Andrea s’exclamer, « Oh ! »

Tout le monde dans la pièce se retourna vers elle. Elle avait son Blackberry dans la main et regardait Bradley. « Je dois y aller. Je suis désolée. »

« Que se passe-t-il ? »

« Une collègue qui est sur une histoire ce soir… elle doit s’absenter. Il faut que je la remplace. »

« Oh non, » pleurnicha Jasmine. « Nous devions tous aller au Blue après dîner. Es-tu sûre ? »

« Ouais. C’est un gros sujet et je ne peux pas laisser tomber le journal. » La voix était sincère, mais les yeux racontaient une autre histoire à Miranda. Sans le moindre doute, Andrea était en train de mentir comme un arracheur de dents. « Passez tous une agréable soirée ! » Elle embrassa sur la joue Alexander, puis Jasmine et Bradley. Quand elle s’approcha de Miranda, celle-ci la regarda d’un air appuyé, mais Andrea ne broncha pas. « Toi aussi Miranda, passe une merveilleuse soirée ! » Cette expression de désespoir était revenue une fraction de seconde jusqu’à ce qu’Andrea sourie tristement.  Y avait-il des larmes dans ses yeux ? « Au revoir. » Elle se pencha et posa ses lèvres sur la joue de Miranda et c’est comme si un feu avait été allumé sous sa peau. Puis Andrea disparut, passant pratiquement la porte avant que Miranda n’ait le temps de se tourner pour la voir partir.

« Une fille si consciencieuse, » fit Alexander en plaçant une main sur l’épaule de son fils. « Où diable as-tu trouvé quelqu’un de si engagé ? »

Bradley sourit. « J’étais au bon endroit au bon moment. »

Alexander et Jasmine reprirent leur conversation et Miranda saisit sa chance. Le garçon n’aurait pas la moindre idée de ce qui lui serait tombé dessus quand elle en aurait fini avec lui. S’approchant lentement, elle le prit par le bras et l’écarta du reste de la famille. « Alors Bradley, comment ça va avec Andrea en ce moment ? »

Son sourire se fit hésitant assez longtemps pour donner à Miranda l’assurance dont elle avait besoin pour continuer de fureter. « Oh, super ! Je suis fou d’elle. Comment ne pas l’être ? »

« Bradley, » fit Miranda alors que sa voix baissait, prenant un ton dangereusement séduisant. « Vous devez comprendre qu’Andrea et moi nous connaissons depuis un temps certain. »

« Bien sûr. »

« Et que je connais très, très bien Andrea. Peut-être mieux que ce que vous pouvez penser. » Miranda sentit un moment le feu monter à ses joues en disant cela.

Bradley rit nerveusement.

« Elle mentait ce soir, » dit doucement Miranda. « Pourquoi ferait-elle cela ? »

L’inquiétude quitta le visage de Bradley. « Andy ne mentait pas, » fit-il en agitant une main. « Elle a du travail. »

« Non, non, » répondit Miranda, apercevant l’ouverture. Il était détendu, calme. Si elle avait bien interprété correctement la tension entre eux deux, il y avait quelque chose dans l’air. « Elle n’avait pas de travail. Que s’est-il passé ? Vous vous êtes disputés ? »

« Non, pas du tout. Franchement, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je..euh… je l’ai prévenue à l’avance de quelque chose… Papa a une petite surprise pour…Hmmm…pour toute la famille. » Il sourit d’un air entendu. « Mais vous n’en saurez pas plus de moi. Je suis tenu au secret. » Il tourna une clef invisible près de sa bouche et la jeta par-dessus son épaule.

« Je vois, » fit Miranda. Il devait y avoir autre chose. « Je sais également qu’elle ment à propos de votre relation. Pouvez-vous me dire pourquoi, Bradley ? »

Brad se figea. « Ne soyez pas ridicule, Miranda ! Pourquoi mentirions-nous ? »

Miranda plissa des yeux. Il n’y avait pas qu’Andrea. Nous. « Je pourrais penser à plusieurs explications. » Peut-être étaient-ils sur le point de rompre. Si Andrea avait été quelqu’un d’autre, elle se serait demandée si elle n’avait pas dit quelque chose à propos de leur… liaison. Mais Miranda faisait totalement confiance à la jeune femme et continuerait jusqu’à preuve du contraire.

« Que vous a dit Andrea ? » Il semblait avoir vu un fantôme.

« Seulement ce qu’elle pensait que je devais savoir. » La vérité était là, à peine hors d’atteinte. Mais dites-le, Bradley !

« Je ne peux pas le croire. Je lui faisais confiance. Pourquoi vous a-t-elle dit quoique ce soit ? »

Le cœur de Miranda battait fort. « C’est juste… sorti du placard. »

« Merde. Vous n’avez rien dit à Papa ? »

« Non, » répondit Miranda tout en jetant un coup d’œil à Alexander. « Pas encore. »

« Miranda, je ferai tout ce que vous voudrez. Tout. Mais je vous en prie, par pitié, ne lui dites pas encore. Andy a promis qu’elle serait avec moi quand je le ferai. Je veux dire… ça va le tuer, mais elle m’a fait promettre de tout dire avant la fin de l’année. »

« Oh ? »

« Je veux dire… ce n’est pas comme si j’étais pressé. Je ne vois personne si c’est ce que vous vous demandez. »

« Non ? »

« Eh non ! On ne peut pas vraiment, vous savez, traîner à Chelsea (NDT : quartier gay de New York), » dit-il avec un sourire penaud.

Miranda cessa soudainement de respirer et sa bouche s’ouvrit sous l’effet de la surprise. Enfin, elle rejeta un grand souffle d’air et vacilla, prise d’un vertige. « Bien sûr, » dit-elle. « Bien sûr, vous ne pouviez pas. »

Bradley était trop pris dans sa propre névrose pour se rendre compte du dilemme de Miranda. « J’aime mon père. Je ne sais pas ce qu’il va faire. Je suis… vous savez… le seul gay de la famille, » chuchota-t-il.

Les yeux de Miranda se fermèrent. Soudain, tout devenait clair.

L’heure suivante s’écoula dans un brouillard, Miranda ne pouvant se concentrer sur autre chose que sur ce petit trésor d’information qu’elle avait découvert. La relation d’Andrea était une comédie. Avait-elle commencé ainsi ? Miranda en doutait, mais elle ne pouvait en être sûre et elle ne pouvait soutirer d’autres informations de Bradley à la table du dîner. Elle fut très gentille avec lui après sa confession, réalisant qu’elle-même cachait un secret similaire, bien qu’elle n’ait pas compris avant ce qu’elle cachait vraiment. Pas qu’elle soit une espèce de lesbienne, mais plutôt qu’elle soit tombée amoureuse, accidentellement, entendons-nous bien, d’une jeune femme qui avait exactement la moitié de son âge.

Voir le visage d’Andrea envahi par le chagrin ce soir-là et découvrir ensuite qu’elle n’était pas liée à Bradley avait permis à Miranda de comprendre bien des choses. La première était qu’elle était très amoureuse, aussi humiliant que ce soit. La seconde était qu’elle devait mettre un terme acceptable à sa relation avec Alexander avant que l’irréparable ne se produise.

Miranda avait pris sa décision et elle ne reviendrait pas dessus.

Mais juste avant le dessert, son plan dérailla.

Alexander s’éclaircit la gorge, demandant l’attention des convives alors que les couverts étaient débarrassés. « Bien, » commença-t-il. « Je suis si heureux de voir que tous ceux auxquels je tiens le plus sont avec moi ce soir, bien qu’il y ait une chaise vide à cette table que j’espérais voir occupée. » Il fit un signe de tête vers le siège d’Andrea. « Mais cela ne va pas me retenir de faire une chose à laquelle je pense depuis quelque temps. »

Miranda ressentit un profond dégoût d’elle-même quand elle vit Alexander mettre la main dans sa poche et en tirer une boîte de velours noir. Sans penser à autre chose qu’à la fierté de cet homme et à sa propre santé mentale, Miranda tendit la main et retint son poignet. Il voulut se dégager tout en la regardant fixement.

« Non, » fit-elle, la voix désespérée.

Son sourire se fit hésitant, mais il ne put retenir un petit rire étouffé. « Mmm ? »

Miranda savait maintenant pourquoi Andrea avait fui ce soir. Bradely lui avait dit qu’Alexander allait faire sa déclaration et elle n’avait pu se forcer à y assister. Miranda était si inquiète à propos d’Andrea qu’elle n’avait pas réalisé ce qui allait arriver. « Ne dis rien ! Je t’en prie. »

Alors qu’Alexander la regardait, son visage se transforma en une expression qu’elle n’avait encore jamais vue : une parfaite compréhension doublée de peine et d’incrédulité. « Non ? » demanda-t-il, comme pour s’assurer qu’il n’avait pas mal compris.

Miranda fit juste non de la tête.

« Ah ! » A ce mot, il dégagea son bras de la poigne de fer de Miranda et remit la boîte dans sa poche. « Eh bien… si c’est comme ça… »

Miranda jeta un coup d’œil aux deux enfants d’Alexander : Jasmine semblait horrifiée alors que Bradley les observait  avec confusion. Le jeune homme se ressaisit enfin et se leva de son siège. « Jazz, viens avec moi ! »

« Quoi ? » s’exclama Jasmine. « Quoi ? »

Bradley n’attendit pas qu’elle en dise plus et, faisant le tour de la table, il l’attrapa par le bras. « OK ! Merci pour le dîner. On se voit plus tard. » Ils étaient partis en un clin d’œil.

Maintenant qu’il n’y avait plus qu’Alexander et Miranda dans l’immense salle à manger, le silence régnait. Miranda déglutit avec difficulté. « Je suis désolée, » réussit-t-elle à dire et elle ressentit une immense tristesse l’envahir. Elle n’aurait jamais  pensé que la façade qu’elle présentait constamment pourrait causer autant de tension.

« Moi aussi, » répondit Alexander tout en dénouant sa cravate. « Je pensais que j’avais compris. J’imagine que je me trompais. Nous n’en avions pas discuté en détail, mais j’ai trop présumé. »

« Je ne sais pas quoi dire, » commença Miranda. « Je me suis ridiculisée. »

Le visage d’Alexander se durcit. « Et moi avec. »

« Non, » soupira Miranda. « Pas du tout. J’avais… j’avais vraiment l’intention de… »

« Qu’est-ce qui a changé ? »

Tout en sachant qu’elle faisait une erreur, Miranda tenta de s’expliquer. « Nous nous accordons si bien à tous les niveaux. Nous serions plus forts ensemble que séparément, professionnellement parlant. Et je me suis abusée en pensant que les relations professionnelles prenaient la préséance sur les rapports personnels. »

Il jeta sa cravate sur la table. « Alors tu m’as utilisé. »

Jetant un coup d’oeil à son verre vide, Miranda répondit. « Peut-être. Mais uniquement par habitude. Il n’y avait rien de prémédité. Je te promets. »

« Par habitude, » répéta Alexander. Il soupira avec un rien d’amusement. « C’est… quelque chose que je peux comprendre. » Il croisa enfin son regard. « Tu ressembles énormément à ma femme, vois-tu ? Je crois que nous aurions fait un beau couple. Si tu m’avais aimé. »

Elle voulait démentir ses mots et dire qu’elle l’aimait. Que tout cela était une ruse et qu’elle l’épouserait. Parce que tout cela était bien plus pénible que tout ce qu’elle avait pu imaginer. « Je ne voulais pas te faire de peine, Alex, » dit-elle avec des sanglots dans la voix.

Il acquiesça, l’air de plus en plus abattu sous ses yeux. « Cela aurait pu être pire, » fit-il avec un demi-sourire. « Ma première idée était d’organiser une énorme réception et de demander ta main devant tous les gens que nous connaissons. »

Oh mon Dieu, pensa Miranda. Quel désastre ! « Peux-tu me pardonner ? »

Ses yeux étaient doux et bien plus affectueux que Miranda croyait le mériter. « J’ai de l’affection pour toi, Miranda. Comme je l’ai dit, nous formons une bonne équipe. Mais je ne demanderais jamais plus que ce que tu peux m’offrir. Et je veux croire que tu ressens la même chose pour moi. Combien cet amour aurait pu grandir, personne ne peut le dire maintenant. Mais je regrette de ne jamais le découvrir. »

Intérieurement, elle poussa un soupir de soulagement. Il ne ferait rien qui lui porterait préjudice, en terme de carrière ou autrement. Peut-être qu’un jour, ils pourraient être amis. Tendant le bras, elle toucha sa main avec gentillesse. « Moi de même, » répondit-elle. C’était un pieux mensonge et elle n’en ressentit aucune culpabilité.

Alexander lui serra les doigts avant de les laisser. « Alors, » fit-il en se détendant dans sa chaise. « Nous sommes arrivés au terme d’une fructueuse relation. »

« Oui, » répondit-elle. « C’est cela. »

« J’ai apprécié chaque minute en ta compagnie. Tu es une femme formidable, Miranda Priestly. J’envie l’homme qui saura gagner ton coeur. »

Miranda renifla bruyamment.  Si seulement tu savais, pensa-t-elle. Elle espéra qu’il ne serait pas trop abattu quand la vérité serait connue. Miranda croyait qu’elle ne serait pas capable de garder longtemps le secret. Et peut-être que cela lui était égal.

Si le monde n’appréciait pas qu’elle puisse être amoureuse d’Andrea Sachs, il pouvait aller au diable.

9ème partie

Alors que la voiture roulait vers le sud sur Broadway, Miranda regardait fixement son téléphone pour l’obliger à sonner.

« Toujours rien ? » demanda Roy.

« Non, » répondit Miranda. « C’est par ici, quelque part. Elle ne peut pas être au-delà de Canal Street. Restez dans le quartier ! »

Le téléphone sonna et Miranda le porta à son oreille. « Oui ? »

« 1ère Rue Est au numéro 46, Appartement 6C, entre la 1ère et la 2ème avenue », fit Chelsea dans un seul souffle. « En sens unique en allant vers l’ouest. »

Miranda répéta l’adresse à Roy qui accéléra en direction de Houston Avenue.

« Merci, Chelsea. »

« Pas de problème. Elle a envoyé une carte de vœux à Noël cette année. C’est comme ça que j’ai eu sa nouvelle adresse. »

« Très bien. Retournez à ce que vous étiez en train de faire ! »

« Merci. Passez une excellente soirée ! »

Miranda raccrocha et espéra que la soirée devienne effectivement bonne. Elle avait essayé à plusieurs reprises d’appeler Andrea, mais elle était tombée à chaque fois sur la messagerie vocale. Cela ne l’arrêterait pas. Si Andrea n’était pas chez elle, elle la pourchasserait jusqu’à ce qu’elles puissent se parler et se dire enfin la vérité pour changer. Maintenant que Miranda avait pris sa décision, elle n’hésiterait pas à agir. La patience n’avait jamais été son fort.

Roy prit un virage serré, puis un autre. Quelques instants plus tard, il s’arrêta au pied d’un immeuble qui ne semblait pas aussi délabré que ce qu’avait craint Miranda. La rue était relativement tranquille pour un samedi soir. « Attendez jusqu’à ce que je sois entrée dans l’immeuble. Ensuite, vous aurez votre week-end de libre. »

« Vous n’aurez pas besoin…? »

« Je prendrai un taxi. » Elle sortit de la voiture et claqua la porte. Roy savait déjà qu’il se passait quelque chose de bizarre, mais elle n’avait pas besoin que son intention soit trop évidente. Il y avait toute une série de boutons sur un boîtier d’interphone usé à l’extérieur de l’immeuble et elle appuya sur le 6C. Pas de réponse. Elle attendit trente secondes avant de réessayer. A nouveau rien. Finalement, elle pressa le bouton avec son pouce et ne le retira pas, écoutant le bruit désagréable jusqu’à ce qu’une voix l’interrompe.

« Allez-vous en ! »

« Andrea, Laisse-moi entrer ! »

Il y eut un temps d’arrêt. « Qui est-ce ? »

« La Reine de Saba. Ouvre ! »

« Tu… Tu ne devrais pas… »

Se penchant vers l’interphone, Miranda utilisa alors son ton le plus autoritaire. « Ouvre. Cette. Porte. Maintenant ! »

Il y eut un fort bourdonnement et elle soupira. A l’intérieur, elle trouva un ascenseur de petite taille, mais parfaitement fonctionnel qui l’amena au sixième étage. Au bout du couloir, elle frappa à une porte peinte en rouge et attendit. Elle s’entrouvrit de quelques centimètres. La pièce était sombre à l’intérieur et Miranda distinguait à peine le visage d’Andrea. « Tu ne devrais pas être là, Miranda. Rentre chez toi ! »

« Est-ce ta façon de me dire que tu ne veux pas me voir ? »

« Non. C’est ma façon de te dire que tu ne devrais pas être là. S’il te plaît, » supplia-t-elle et Miranda fut choquée d’entendre le désespoir dans sa voix. « Ne rends pas les choses plus difficiles ! »

« Laisse-moi entrer ! »

Au moins, elle savait reconnaître quand elle était battue. Andrea se recula et ouvrit tout grand la porte. Miranda pénétra à l’intérieur. Il n’y avait qu’une seule petite lampe allumée et un foulard rouge sombre jeté par-dessus donnait à la pièce une lumière irréelle. Il y avait un canapé et une table basse, un fauteuil à oreillettes et deux étagères débordant de livres et de journaux. Simple, mais cela correspondait parfaitement à Andrea. Des estampes décoraient les murs, l’une d’entre elles semblant être un original d’un nouvel artiste que Miranda avait vu à SoHo l’année précédente. « J’aime ton appartement. »

Andrea frotta son front avec deux doigts. « Génial. C’est tout ? »

« Non. J’aimerais un verre de vin. J’ai eu une soirée plutôt inhabituelle. »

Avec un soupir, Andrea se tourna et dépassa un coin qui devait mener à la cuisine, supposa Miranda. Elle la suivit. Otant le bouchon d’une bouteille de vin rouge déjà entamée, Andrea versa deux verres. Il faisait plus clair ici et quand Andrea se retourna pour lui tendre son verre, Miranda réalisa combien elle avait l’air terrible. Sa peau était pâle et son teint brouillé, ses yeux étaient cerclés de rose. Même son nez était rouge. Miranda en resta bouche bée et se sentit honteuse. Elle tendit la main pour recouvrir la joue d’Andrea, mais celle-ci tressaillit.

« Arrête, Miranda ! C’est fini. »

« Oh non, ce n’est pas fini ! Loin de là. »

« Quoi ? Tu envisages de commencer quelque chose avec moi alors que tu es fiancée ? »

Ah ! Elle avait vu juste. « Non, je pensais que ce serait bien de te rendre visite maintenant que je suis libre. »

Le visage d’Andrea demeura impassible. « Libre, » répéta-t-elle.

Miranda fit oui de la tête.

« Libre de quoi ? »

Levant sa main gauche, Miranda montra son annulaire sans le moindre bijou. « Libre de toute autre obligation. »

La confusion rendait Andrea vraiment adorable. « Est-ce qu’Alexander ne t’a pas demandé ta main ce soir ? »

« Il ne l’a pas fait. Et ne le fera pas. »

« Mais Brad m’a dit… »

« Bradley, » fit Miranda. « Un délicieux garçon. J’aurais dû reconnaître les signes bien plus tôt, mais il joue bien le jeu. »

Andrea déglutit. « De quoi parles-tu ? »

« Oh Chérie ! Toujours à protéger les autres même quand ce n’est pas dans ton intérêt. Tu es une anomalie et j’ai tant de chance de t’avoir trouvée. »

« Euh…reviens en arrière, » dit Andrea avant d’avaler une grosse gorgée de vin. « Pourrais-tu parler… tu sais… clairement pour une fois et me dire ce qu’il se passe ? »

Miranda avait fait assez de dégâts ce soir-là. Ce regard malheureux en était la preuve. « Très bien. Primo, je sais que Bradley est gay et que votre relation n’existe que pour satisfaire son père. Secundo, Alexander n’a pas demandé ma main parce que je l’ai arrêté avant qu’il le puisse. Donc, comme on dit, je suis disponible. » Miranda sirota son vin alors que l’information faisait son effet en Andrea. Brièvement, elle pensa qu’elle avait mal apprécié la situation. Les yeux d’Andrea étaient écarquillés, mais elle ne semblait pas heureuse. « Si tu es intéressée, » ajouta-t-elle.

Quand Andrea se décida à parler, c’était en un chuchotement étouffé. « Toi et Alex… »

« Ne sommes plus un couple. »

« Et vous avez… »

« Rompu. »

En un court laps de temps, les yeux d’Andrea s’emplirent de larmes qui coulèrent sur ses joues. « Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! Je ne peux pas le croire. »

Pourtant, elle ne bougeait toujours pas et Miranda n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait faire. Cela devenait inquiétant. Au temps pour elle de croire qu’Andrea se serait simplement jetée dans les bras de Miranda en entendant la nouvelle. « Eh bien, si tu dois passer la nuit à me regarder, je peux juste… »

La voix de Miranda sembla pousser Andrea à agir car ces mots avaient à peine quitté sa bouche qu’Andrea se débarrassa de son verre de vin dans l’évier et se jeta dans les bras de Miranda. Juste comme elle l’avait espéré. « Oh mon Dieu ! » sanglota-t-elle dans l’oreille de Miranda alors que son corps tremblait d’émotion. « Oh mon Dieu ! Oh Dieu ! Miranda, » dit-elle dans un souffle tout en l’étreignant très fort.

C’est mieux comme ça. Elle posa son verre sur le bar et ramena ses bras autour de la taille étroite. Des frissons parcouraient son dos jusque dans sa tête. La sensation était inhabituelle, comme si une bande de tension qui tenait son corps ensemble s’était soudain relâchée. Elle se détendit, se fondant dans l’étreinte qu’elle avait tant attendue. C’était tellement, tellement bon. Son odeur, sa douceur étaient de merveilleuses surprises. Elles avaient été proches deux fois, s’étaient embrassées et frottées l’une contre l’autre et plus, mais cela semblait différent. Miranda voulait arrêter le temps et rester ainsi. Faire durer l’instant bien plus que les cinq minutes qu’elle s’était accordée pour être heureuse.

Andrea serra son visage dans le creux du cou de Miranda et des larmes glissèrent le long de sa peau. Le filet d’humidité la fit frissonner et elle posa sa main sur la tête d’Andrea, caressant cette douce chevelure qu’elle adorait. Après quelques minutes, Andrea frotta sa joue humide contre celle de Miranda. « Peut-on rester comme ça pour toujours ? » demanda-t-elle doucement.

Miranda sourit. « Oh oui, » dit-elle, voulant croire à un rêve pour une fois dans sa vie. « J’aimerais beaucoup ça. »

« Je ne peux pas croire que tu sois là. Je ne peux pas croire… » Elle s’arrêta de parler.

« Que je te choisisse ? » Miranda finit pour elle.

Andrea se dégagea, les yeux encore rouges et pleins de larmes. Elle fit oui de la tête.

Miranda prit une grande inspiration. « Eh bien. Certains choix sont plus difficiles à faire que d’autres. »

« Je comprends. »

« Mais une fois qu’ils sont faits, c’est pour durer. »

Andrea acquiesça à nouveau et son sourire fut si éclatant que Miranda se sentit un peu étourdie de la transformation. Tant de joie l’émut. Elle était entrée dans un appartement lugubre où Andrea avait passé la soirée à pleurer et elle l’avait rendue heureuse avec quelques mots et un câlin. Bien sûr, il y avait plus que ça, mais c’était aussi très simple. Etre ensemble. Elle caressa la joue d’Andrea du revers de ses doigts. Il y avait tant de choses qu’elle voulait savoir, mais plus que tout, elle voulait embrasser ces lèvres. Extasiée, elle vacilla en avant et embrassa d’abord la joue d’Andrea. « Oh, » fit celle-ci, reprenant haleine et ce bruit fit quelque chose d’étrange à Miranda. « Oh oui, » murmura la jeune femme et puis elles s’embrassèrent. En quelques secondes, Miranda était haletante. Elle ouvrit la bouche pour respirer, mais se sentit envahie par la langue curieuse d’Andrea qui acheva de lui couper le souffle.

Bientôt, elles se mirent à bouger alors que Miranda restait aveugle à tout ce qui n’était pas la sensation de ces lèvres et de ces mains et de ce corps contre elle. Elle ne se souciait pas de l’endroit où elles allaient du moment que ça ne s’arrêtait pas. Andrea n’arrêtait pas de faire un petit bruit, comme si elle goûtait quelque chose de délicieux qui devenait meilleur encore à chaque bouchée. Plus le bruit continuait et plus le cœur de Miranda battait vite. Dieu, comme elle voulait cette fille ! Mais pas assez pour se détacher et demander où elles allaient.

Peu après, Andrea se dégagea difficilement. Elle retira le manteau des épaules de Miranda et le laissa tomber par terre. « On va le faire, » dit-elle, les lèvres rouge sang. Miranda trembla et acquiesça. Andrea tenta de défaire le chemisier cache-cœur que Miranda portait, mais ne put trouver par où il s’ouvrait. « Retire ça ! » Avec des mains mal assurées, Miranda trouva le nœud et réussit heureusement à le défaire. « Oh Dieu, » s’exclama Andrea, les yeux écarquillés quand elle aperçut l’article de lingerie que portait Miranda.

Embarrassée, Miranda eut, instinctivement, un mouvement de recul, mais il n’y eut pas assez de temps. Andrea passa à l’attaque, ses lèvres se fixant sur sa gorge, ses mains soutenant ses seins, les massant et effleurant les mamelons. Miranda cria ce qui enflamma encore plus Andrea, ses mains glissant sur la poitrine de Miranda avant de laisser tomber une bretelle du soutien-gorge et d’aller à sa cible. Miranda ressentit l’écho de ce contact sur ses seins jusqu’entre ses jambes. Elle agrippa la tête d’Andrea et se cambra sous le baiser. La pièce était silencieuse hormis les bruits humides de la bouche d’Andrea et ses bourdonnements de plaisir. Andrea retira sa tête, les yeux emplis de passion. « Je veux tout faire en même temps, » dit-elle. « Je veux tout te faire. »

Un tremblement parcourut la silhouette de Miranda. Elle essuya sa bouche. Elle se sentait toute retournée. « Dépêche-toi, » dit-elle finalement, commençant à retirer sa jupe. Elle regarda Andrea d’un air incrédule. D’un mouvement vif de la tête vers la jeune femme, elle ajouta. « Toi aussi. Je ne peux pas faire ça toute seule. »

Il fallut un moment pour que les mots s’enregistrent, mais Andrea était surtout très méticuleuse et elle retira son tee-shirt et son jeans en quelques secondes. Puis elles se retrouvèrent en sous-vêtements. Miranda ne se sentait pas encore prête à tout révéler. Elle était dans une forme excellente, mais Andrea avait naturellement la silhouette d’une danseuse avec des membres longs et élégants. Miranda fut rendue muette d’étonnement. Les vêtements allaient bien à la fille, mais elle était tellement plus belle sans. « Mon Dieu, » marmonna-t-elle.

« Oh oui, » fit Andrea en écho, les yeux fixés sur la silhouette de Miranda.  La pièce était faiblement éclairée. Miranda regarda autour d’elle et réalisa qu’elles étaient dans la chambre à coucher. Andrea se jeta sur le lit  et alluma une seconde lampe. Avec un large sourire, elle se retourna. « Je veux être capable de voir ce que je fais. »

Miranda se sentit exposée et ridicule avec son soutien-gorge à moitié défait. Finalement, elle le dégrafa elle-même et le laissa tomber à terre. Andrea ne bougea pas, mais elle se mordillait la lèvre. Elle se passa une main dans les cheveux. « Tu es… wow ! »

Miranda avança à quatre pattes sur le lit, laissant de côté son embarras. Andrea semblait contente et c’était suffisant. « Wow ? » demanda-t-elle. « Est-ce un nouvel adjectif ? »

« Pour toi. Tu es magnifique. »

Puis Miranda se retrouva au-dessus d’elle et se laissa aller entre les bras qui s’ouvraient pour elle, peau contre peau pour la première fois. Elle gémit et rechercha l’attache du soutien-gorge d’Andrea. Elle le défit d’une main experte et le jeta hors du lit, dévorant des yeux ce qui se présentait à elle avec une gratitude non dissimulée. « Oh oui, » gronda-t-elle, se penchant en avant pour savourer directement ce qui se présentait à elle. C’était son fantasme qui prenait vie, celui qu’elle avait imaginé bien avant le voyage en France. Mais c’était tellement mieux. Andrea se cambra, ses doigts s’agrippant à la base du crâne de Miranda. Miranda lécha délicatement, formant des cercles rapides, puis lents à la recherche de la bonne allure. « Dis-moi ce que tu aimes, » fit-elle en relevant les yeux.

« C’est bon, » haleta Andrea.

« Quoi ? »

« Tout, » répondit Andrea « Continue ! »

Miranda retourna vers l’autre sein et fut récompensée par un grognement lascif. Elle fut distraite par la sensation de soie humide. Elle dirigea sa main plus bas et elle appuya deux doigts entre ces longues jambes sans avertissement. Andrea ouvrit ses cuisses et s’offrit sans la moindre honte. Miranda frotta la soie avant de baisser le sous-vêtement et de le retirer hors du chemin. Andrea l’envoya balader d’un mouvement du pied et saisit la main de Miranda pour la remettre en place. Elle se cambra au-dessus du lit et Miranda fut époustouflée par tant de sensualité. Elle n’avait pas su à quoi s’attendre : de l’incertitude, de la gaucherie peut-être. Pas cette expression de pur désir. Les mots qu’elle prononça ensuite prouvèrent combien elle voulait Miranda : « En moi, je t’en prie ! »

Miranda obéit et cherchant au milieu de la chaleur moite, glissa deux doigts. La bouche d’Andrea s’ouvrit alors que ses yeux se fermaient. Miranda se rapprocha, chevauchant l’une des jambes  et frottant ses seins contre ceux d’Andrea. Elle l’embrassa, sa langue lapant à l’intérieur de la bouche de son amante, suivant chacun de ses mouvements.

Une main recouvrait toujours la sienne là où elle était demandée et la chaleur fit penser à Miranda que sa tête allait exploser. Elle grogna.

« Si bon, » balbutia Andrea tout contre la bouche de Miranda. « Si bon, bon, bon… Oh oui ! Juste… » Et soudain, elle se cambra fortement avant de s’immobiliser, le corps à moitié hors du lit. Miranda  sentit les pulsations des muscles au plus profond d’Andrea. Elle ne pouvait ôter son regard de la jeune femme alors qu’Andrea  laissait échapper un cri qui s’acheva en  un sanglot quand son corps s’écroula sur le matelas.

La bouche de Miranda était sèche. C’était une vision spectaculaire.

Les yeux d’Andrea restèrent fermés et Miranda crut voir le battement affolé de son cœur au-dessus du torse palpitant. « Tu es si belle, » murmura-t-elle en posant sa tête à cet endroit contre la poitrine d’Andrea pour sentir l’énergie qui parcourait ce corps.

« Miranda, » fit Andrea d’une voix faible. « Miranda. »

Miranda releva la tête pour la regarder. « Oui, chérie. »

« Embrasse-moi ! »

Elle l’embrassa. Lentement, Andrea s’assit sans interrompre le baiser languide alors que le désir de Miranda n’était pas encore satisfait. Avec précaution, Miranda retira sa main d’entre les cuisses d’Andrea et elle entendit le petit hoquet de surprise en réponse. Une fois de plus, Andrea promena sa bouche sur les seins de Miranda. « Ah ! » soupira cette dernière, se reposant sur ses talons avec une cuisse puissante entre les siennes. Avec curiosité, elle leva sa main et la renifla, secouée par la senteur musquée. Elle goûta une fois, puis une autre avant de perdre le fil de ses pensées. Toute son attention était maintenant dirigée vers son centre  où Andrea avait commencé à explorer, la caressant, l’ouvrant à elle.

« A ton tour, » sourit Andrea. « Dis-moi ce que tu aimes ! » Elle la pénétra juste un peu, juste assez pour que Miranda sente à nouveau la chaleur monter à sa tête. « Tu peux me montrer. »

Mais Miranda n’eut pas besoin de lui montrer parce que juste ces deux doigts qui exploraient, allaient et venaient, était exactement ce qu’elle voulait. « Comme ça, » fit Miranda dans un souffle.

« Comme ceci ? »

Miranda fit oui de la tête et plaça ses mains sur les épaules d’Andrea, ses hanches ondulant, déjà presque à la limite. « Oui, oui, » dit-elle et quand Andrea lécha l’un de ses seins, elle se laissa aller et hurla sans se soucier de qui pourrait entendre ses cris d’extase. A la fin, elle s’abattit  entre les bras d’Andrea et elles retombèrent sur le lit. Elle se sentit presque désolée pour Andrea quand elle l’entendit pousser un grognement de surprise. Presque.

Mais Andrea ne fit que glousser et gigota pour se dégager de dessous elle et du poids mort qu’elle devait sans aucun doute représenter. Quand Miranda ouvrit un œil, la jeune femme avait l’air satisfaite d’elle-même et heureuse. Sa tête reposait sur une de ses mains. « Wow. »

Miranda laissa échapper un profond soupir de satisfaction. « Wow, effectivement. »

Andrea cligna des yeux et eut, pour un court moment, l’air affligé. « Je dois te dire quelque chose. Ne t’énerve pas ! »

Dieu, ne pouvait-elle pas attendre un peu que Miranda profite un peu plus de ce sentiment de volupté avant d’entamer quelque chose de désagréable. « J’essayerai. »

Andrea inspira, retint sa respiration et dit, « Je t’aime. »

Miranda la regarda, attendant la suite. « C’est à cause de ça que je ne dois pas m’énerver ? »

Andrea ne répondit que d’un mouvement de la tête. « Je voulais juste le dire. Ce n’est pas quelque chose en passant pour moi. »

Miranda s’étrangla. « Tu as intérêt. »

« OK. Bien. Je suis contente de m’être débarrassée de ça. »

Miranda se sentit enfin capable de bouger et les endorphines circulaient à un bon niveau dans son corps. Entre le sexe et cette déclaration d’amour bizarrement non-romantique, elle se sentait parfaitement bien.  Elle attira Andrea au-dessus d’elle, appréciant la façon dont leurs corps humides de sueur allaient ensemble. « Si nous en sommes à nous débarrasser de choses et d’autres, alors, moi aussi, je t’aime. »

Andrea rougit à la grande surprise de Miranda. « Tu n’as pas à dire ça, tu sais. Pour me faire sentir mieux. »

« Tu n’es pas sérieuse. »

Elle agita la tête. « Si, si. C’est assez. Tu es là, on est ensemble. Je ne … je ne veux pas… »

« Je t’aime, » répéta Miranda. « Bien que de la façon dont tu agis maintenant, je ne suis pas sûre comment j’y suis arrivée. »

« Euh ? »

« Crois-tu vraiment que je mentirais à propos de quelque chose comme ça ? »

« Eh bien… je veux dire… pas vraiment, mais je n’attends rien… Mmm d’autre que… »

« Andrea Sachs ! Si tu crois que je vais m’engager dans une espèce de liaison clandestine avec toi, tu ferais mieux de réfléchir à deux fois. »

« Quoi ? »

« Ce soir, j’ai mis un terme à une relation avec un homme qui était sur le point de me demander ma main et qui, si l’envie le prend, peut causer un tort immense à ma réputation. J’ai pris ce risque, aussi fou qu’il paraisse. »

« Oh ! Je n’avais pas pensé à ça. »

« Moi si. Mais Alexander est un homme bon en dehors de son pouvoir et de sa position dans la communauté. Bien sûr, je ne lui ai pas dit que j’étais sur le point de rejoindre la petite amie de paille de son fils pour lui faire l’amour. Il aurait pu avoir un motif de se plaindre dans ce cas.

L’expression d’Andrea était comique, à mi-chemin entre allégresse et compassion.

« Mais je suis sérieuse à propos de ça. De toi. C’est exclusif. Je ne partage pas. »

« Non ? » demanda Andrea, tout ayant l’air très satisfaite d’elle.

« Absolument pas. » Miranda fit courir une main collante le long d’une hanche ronde, puis caressant un mamelon qui devint rigide au contact. « Plus maintenant. »

« Cela me va très bien. » Puis elle réalisa de quoi Miranda voulait parler. « Tu veux dire avec Brad ? »

« Oui Mais je comprends que tu n’es pas prête à mettre fin à votre… comédie. »

« On n’a… euh… rien fait depuis un certain temps. Pas depuis la France. Et franchement, même avant. Il ne passait pas grand-chose entre nous de toutes façons : J’étais toujours trop occupée et il était plutôt… Mmm… ennuyeux. Pour des raisons qui sont devenues claires plus tard. »

« Quand as-tu appris ? »

Miranda se sentit soudain incertaine. « J’imagine que j’aurais dû te demander ça avant, mais as-tu eu des rapports protégés ? »

« Oh oui ! A chaque fois. »

Ceci rassura Miranda.

« Et toi et Alex ? » demanda Andrea, cachant à peine un sourire narquois.

Miranda pinça ses lèvres. « Eh bien, non. Mais nous en avons parlé. »

« Dois-je être inquiète ? »

« Non, » répondit Miranda d’un ton hautain.

« Tout va bien alors. » Elle leva les yeux au ciel. « Enfin, pour reprendre ce qu’on disait, je suis retournée à notre chambre après notre… truc, puis Brad est revenu et j’ai rompu avec lui. Il a pensé que j’avais deviné, ce qui n’était pas le cas, et nous avons décidé de garder les choses en l’état pour la galerie. Il rendait son père heureux et moi, j’avais les invitations pour les endroits où je devais être pour le journal. »

« Chérie, tu n’as plus besoin d’invitation. »

« Mmm ? »

« Tout le monde sait qui tu es. Et ils veulent tous être photographiés par toi. »

« Tu crois ? »

« Je le sais. »

Andrea réfléchit à ce qu’elle venait d’entendre. « Cool. Il y a un moment où je voudrais faire autre chose que ces sujets people. Du photojournalisme, je pense. »

Miranda tendit la main et repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille. « Cela ne m’étonne pas. Tu seras très bonne. »

« Vraiment ? »

Miranda acquiesça.

« J’aime que tu aies foi en moi, » dit Andrea doucement.

« J’ai toujours eu foi en toi. »

Sans avertissement, Andrea était au-dessus d’elle, avec un air émerveillé sur son visage. Elle se pencha et l’embrassa. La frénésie qui les avait prises au commencement, s’était calmée et maintenant, c’était doux et attentionné et chaud. Miranda mêla leurs jambes ensemble, étonnée de la douceur de la peau d’Andrea. « Fantastique, » dit Andrea quand leurs lèvres se séparèrent.

Miranda laissa le mot l’envelopper comme une couverture et l’embrassa à nouveau.

10ème partie

Quand Miranda se réveilla, elle remarqua deux choses : d’abord, qu’elle ne portait aucun vêtement et ensuite, qu’elle était seule dans le lit. La chambre était brillamment éclairée par comparaison à la nuit précédente : les rideaux sombres avaient été tirés laissant les voilages blancs voleter devant une fenêtre ouverte. Le plafond était haut, donnant beaucoup plus d’espace à la pièce et les murs blancs apportaient du calme à l’esprit de Miranda. Sa peau était fraîche, mais la couette en duvet d’oies enveloppée d’une housse outrageusement douce enveloppait son corps comme un nuage. Andrea n’était peut-être pas riche, mais elle savait dépenser son argent pour ce qui était essentiel.

« Andrea ? »

Pas de réponse. Elle jeta un coup d’œil sur le côté du lit et aperçut une note écrite rapidement sur la table de nuit.

miranda,

ne pars pas ! sortie pour trouver café et p’tit-dèj’. je reviens vite. je répète : ne pars pas.

Je t’aime, andrea

Il y avait un petit cœur à côté de son nom et Miranda se surprit à sourire. Elle s’étira et fut contente de sentir certains muscles délicieusement douloureux pour ne pas avoir servi récemment. Sa vie sexuelle avec Alexander avait été raisonnablement réussie, mais cela se passait presque toujours comme après-coup, quand ils avaient tous les deux le temps. Maintenant que cette relation était finie, elle ne voulait pas le juger comme un piètre amant. Mais la différence était immense entre faire les choses machinalement et aimer et être aimée en retour.

Elle trembla un peu en pensant à la façon dont la langue d’Andrea avait tracé une délicieuse ligne depuis la base de sa colonne vertébrale jusqu’à sa nuque et de quelle manière elle avait tiré tant de plaisir du corps de Miranda avec facilité et délice. La première salve avait conduit à une deuxième, puis à une troisième après quelques heures de sommeil. Encore maintenant, Miranda ressentait le buzz de l’excitation qui l’avait maintenue sur les nerfs pendant tant de mois. Elle pensait que ça pourrait lui prendre un certain temps pour s’en débarrasser. Pour Andrea également. Par chance, elle avait une partenaire très enthousiaste.

Sentant l’odeur qu’elle dégageait sous les draps, Miranda décida qu’il était temps de passer sous la douche. Dans la salle de bain, elle trouva tout ce dont elle pouvait avoir besoin déjà sorti. L’utilisation du savon d’Andrea se révéla être un exercice de sensualité, son parfum lui rappelant leur nuit passée ensemble. Une fois sortie, elle s’enveloppa dans une serviette de bain et chercha, sans succès, un peignoir. Elle n’était pas prête à remettre ses vêtements de la veille et décida, à la place, d’aller voir dans le placard d’Andrea.

Quand elle ouvrit la porte, Miranda avait uniquement l’intention de trouver quelque chose qu’elle pourrait porter dans l’appartement. Mais elle n’en eut pas l’occasion, se trouvant distraite spectaculairement par plusieurs photographies qui avaient été collées à l’intérieur de la porte. Là, occupant environ un tiers d’un espace libre, se trouvait un montage de photos représentant Miranda. Toutes avaient été visiblement prises par Andrea. Certaines étaient en couleur, d’autres en noir et banc, il y avait des clichés de profil et des plans moyens avec de-ci de-là quelques gros plans.

A une époque, Miranda s’était sentie déçue de n’apparaître que rarement dans la galerie en ligne d’Andrea. En fait, son portrait n’avait figuré sur le site que deux fois en quatre mois. Cependant, il ne semblait pas que la cause soit l’absence de photos prises par Andrea. Loin de là. Il y avait peut-être une douzaine de clichés disposés artistiquement et selon Miranda, ils étaient tous de très bonne qualité. L’un en particulier se détachait des autres, un gros plan du dos de Miranda, ses épaules et sa nuque découverts par la coupe basse de l’encolure de la robe du soir qu’elle portait. D’après le dessin de la robe, elle était certaine qu’il s’agissait de celle qu’elle avait portée lors du gala de charité pour le centre Sloan-Kettering. Une nuit mémorable. Pour elles deux.

Elle tendit la main et toucha l’une des photos, ressentant un grand réconfort à les voir là. D’une certaine façon, ces photos rendaient l’affection d’Andrea plus réelle. Elles avaient été prises pour le plaisir particulier d’Andrea : preuves concrètes de son affection, cachées loin des regards curieux.

A ce moment, elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer silencieusement. Il y eut un frottement de pieds qui se dirigeaient probablement vers la cuisine et Miranda suivit le bruit. Elle vit un conteneur de chez Starbucks sur le bar, pas juste des verres en plastique, mais une carafe en carton à emporter. Un sac à dos plein d’articles d’épicerie atterrit à côté et Andrea était en train d’en sortir des œufs et des fruits quand elle réalisa qu’elle n’était pas seule.

« Oh ! » s’exclama-t-elle en portant une main à sa poitrine. « Tu m’as fait peur. Je n’étais pas sûre que tu sois réveillée. »

Miranda s’appuya contre le chambranle de la porte. « Je suis réveillée. »

« Bonjour, » fit Andrea en se rapprochant. Elle se pencha, un peu hésitante, pour un baiser. Elle semblait embarrassée, ce qui était surprenant après la nuit passée où elle avait été si libre. Mais Miranda ne se laissa pas troubler. Elle glissa sa main dans les cheveux soyeux d’Andrea pour la serrer dans ses bras. Bien vite, elle se détendit et ses lèvres se fondirent délicieusement contre celles de Miranda.

De façon délibérée, Miranda commença à avancer, rapprochant petit à petit Andrea de la table de la cuisine. Celle-ci semblait assez solide pour au moins essayer. La bouche d’Andrea parcourait sa gorge mouillée, léchant les traces d’humidité qui tombaient en gouttes depuis l’extrémité de ses cheveux. Par chance, la table était plus basse que le niveau des hanches et Miranda put y faire asseoir Andrea sans problème. La veste fut enlevée, suivie par sa chemise avant qu’Andrea réalise ce qu’elle faisait.

« Je t’ai trouvé ton café. Ton Latte, je veux dire. » Deux baisers suivirent. « Il est très chaud, » dit-elle dans un souffle. « Il va refroidir. »

Miranda défit la large ceinture et la retira des passants du pantalon. « Ça peut attendre. »

« Et des œufs, je peux te faire des œufs. » Un autre baiser, accompagné d’un petit cri d’étonnement qui fit redoubler les battements du cœur de Miranda. « N’as-tu pas faim ? »

« Oh si, » dit Miranda tout en laissant tomber à terre sa serviette de bain. Elle serait parfaite pour protéger ses genoux. Elle n’aurait pas pu mieux s’organiser si elle avait vraiment planifié la chose. « Soulève ! » Et les jeans d’Andrea se retrouvèrent de l’autre côté de la pièce, puis ses sous-vêtements atterrirent quelque part hors de vue. Elle était déjà mouillée. « Es-tu toujours excitée si rapidement ? »

Andrea rit d’une façon un peu hystérique. « J’ai fait la queue un certain temps chez Starbucks et je m’ennuyais. » Miranda lécha sa hanche et elle sursauta. « J’ai des fantasmes plutôt convaincants. »

« Tu veux en parler ? »

Miranda frotta sa main entre les jambes d’Andrea. « Oh ! Oui… Ah ! Ça… ça ressemble à l’un d’entre eux. Aaah ! » s’écria-t-elle et elle retomba de tout son long sur la table. Quand Miranda utilisa sa langue, avec laquelle elle était peu expérimentée, Andrea cria et attrapa les cheveux mouillés. Miranda continua ce qu’elle faisait, écoutant les bruits et les soupirs qui lui disaient ce qui était bon et ce qui était encore meilleur. Bientôt, les hanches d’Andrea se mirent à se balancer et Miranda fut incapable de s’empêcher de glisser une main entre ses propres jambes. Son grognement avait été étouffé, mais Andrea releva la tête immédiatement. « Es-tu… » Elle ne put continuer. « Oh, mon Dieu ! » Miranda écarta sa bouche, regardant avec attention ce corps qu’elle s’était mise à adorer, mordant ses lèvres et goûtant l’humidité qui les recouvrait.

Maintenant, les yeux d’Andrea étaient désespérés alors que ses hanches se soulevaient à la recherche d’un contact. Mais Miranda resta à l’écart, voulant se retrouver dans le même état d’excitation. L’expression de désir sur le visage d’Andrea l’amena vite au bord du gouffre et elle retourna vite à ce qu’elle faisait, écartant du bout du nez des poils rêches à la recherche de son objectif. Andrea émit une sorte de glapissement, ses jambes s’ouvrirent encore plus, ses gémissements de « Oui, oui, oui… » se désintégrèrent en bruits incohérents. Une fois de plus, elle attrapa les cheveux de Miranda et maintint la tête alors que la langue de Miranda la caressait avec une gentille pression.

Elle le sentit quand il se produisit : la furieuse contraction, les pulsations qui suivirent, les cris de plaisir et de soulagement qui venaient d’au-dessus. Miranda insista entre ses jambes et jouit immédiatement, sa joue à l’intérieur des cuisses d’Andrea, douces et pâles comme de l’ivoire.

Les secondes s’écoulèrent et elle inspira cette odeur de peau propre et de sexe. Une main alla inconsciemment caresser le flanc d’Andrea. Cela semblait décadent, d’être ici, d’être si heureuse d’un seul coup. Elle ferma les yeux et soupira.

Andrea se glissa en avant et se laissa tomber de la table sur les genoux de Miranda. Elles s’embrassèrent et les doigts d’Andrea parcoururent légèrement sa colonne vertébrale. « C’était… »

« Wow… » finit Miranda à sa place.

Les yeux bruns se remplirent de rire. « Exactement. »

Ce matin-là, Miranda prépara le petit-déjeuner malgré les doutes d’Andrea. Miranda pouvait cuisiner et le faisait bien : elle n’avait tout simplement ni le temps, ni l’envie la plupart du temps. Aujourd’hui, elle avait les deux et créa une omelette aux légumes si délicieuse que les yeux d’Andrea se fermèrent d’approbation.

Le reste de la journée fut entièrement gaspillé selon les standards habituels de Miranda. Elle ne fit rien de productif, ne passa aucun appel, ne regarda pas une fois le Book, éteignit son Blackberry. Andrea fit de même, bien que Miranda ait pu constater combien cela la rendait nerveuse de ne pas pouvoir être joignable par son journal pour une longue période de temps.

« Tu travailles trop, » gronda Miranda quand elle remarqua qu’Andrea n’arrivait pas à tenir en place à l’autre bout du canapé. Elle tourna une autre page du Times et la plia proprement.

« Absolument pas. » Avec un reniflement, elle ajouta. « C’est l’hôpital qui se moque de la charité. »

Miranda ignora la remarque. « Tu as tenu deux jobs pendant des mois. As-tu reçu une augmentation ? »

Andrea grimaça. « Non. »

« Ils profitent de toi. »

« Je sais, » murmura-t-elle. « Je ne sais pas quoi faire. »

« Que veux-tu faire ? Ou plutôt, que voudrais-tu faire si tu avais le choix ? »

Andrea baissa son exemplaire du Mirror et le posa sur la table basse. « Je n’en suis plus tout à fait sûre. J’ai toujours voulu écrire, depuis que je suis môme. Et j’aime ça. Je suis bonne. Je veux raconter des histoires importantes que les gens ont besoin d’entendre même si ils ne le veulent pas. Mais… » Elle regarda Miranda. « J’ai mentionné le photojournalisme hier soir et je le pensais. Je pense que je deviens meilleure avec un appareil photo et je veux continuer. »

Miranda acquiesça. « Bien. Peut-être est-il temps de mettre à jour ton CV. Tu es restée au journal plus d’une année et ils survivront sans toi maintenant. Ils devront embaucher deux personnes pour te remplacer, mais je pense que la fréquentation de ton site continue d’augmenter. »

« Ouais. »

« Envisage d’autres possibilités, » proposa Miranda en retournant à son journal. Il ne fallait pas qu’elle montre trop d’importance à la suggestion qu’elle allait faire. « J’ai de nombreuses relations, Chérie. Autant que le clan Huntington, sinon plus. Et même si tu penses que tu m’utilises pour grimper dans l’échelle professionnelle, tu te trompes. »

« Oh ? »

« Je regretterais que tu ne puisses pas développer ton potentiel à cause d’un malencontreux sens de l’indépendance. Il est sage de profiter des opportunités qui se présentent, quelle qu’en soit l’origine. » Elle fit très attention à garder ses yeux fixés sur les caractères imprimés de son journal.

Puis Miranda se tut et laissa Andrea ruminer cette idée. Elle ne la pousserait pas plus, mais espérerait.

Quelques minutes plus tard, un pied recouvert d’une ridicule chaussette pelucheuse frotta affectueusement son mollet et Miranda se détendit. « Ok, » fit Andrea. « Je vais faire une liste. »

« Très bien, » répondit Miranda. Elle n’avait pas la moindre idée de ce que ça voulait dire, mais ça semblait prometteur.

TOUS LES AUTRES

Un mois plus tard, tout et rien n’avait changé. Mais les vents étaient sur le point de tourner.

Des listes furent établies, déchirées et refaites par Andy qui décida à la fin qu’elle allait donner son préavis de deux semaines au Mirror. Après un long débat interne, elle choisit également de « profiter » de l’un des contacts de Miranda au New York Magazine. Le rédacteur en chef du service photo avait besoin d’un coordinateur qui avait de l’expérience aussi bien dans la presse écrite que la publication en ligne. Ainsi, entre son CV et la recommandation de Miranda, elle avait choisi sa voie.

Miranda était très contente de cet arrangement. Par contre, elle n’était pas enthousiasmée par le peu de temps qu’elle arrivait à passer avec son amante. Andy commença à travailler au Mirror des heures de plus en plus longues du moment où elle décida de partir. Le sentiment de culpabilité à l’idée de quitter ce que Miranda avait une fois baptisé un « bateau en train de couler » était très fort. Mais elle n’abandonna pas la nouvelle idée de ce qu’elle pourrait être. Elle évoluait. Et Miranda avec.

Miranda, qui pour les huit dernières années, avait oublié ce que ça signifiait que d’être heureuse. Elle n’avait pas toujours mené une existence dénuée de joie et la dernière fois dont elle se souvenait où ce sentiment avait été plus que passager était pendant les premières années de la vie de ses filles. Elles avaient rendu chaque nouvelle journée belle et excitante. Miranda avait installé son bureau à la maison et avait réussit à y travailler la plupart du temps. Mais quand les filles avaient rejoint le jardin d’enfants, Miranda avait passé plus de temps au bureau. Puis un peu plus et encore plus. Et bientôt, son travail était devenu sa vie. Le bonheur devint insaisissable, puis superflu.

D’une certaine façon, être avec Andrea avait rappelé à Miranda ce qu’il y avait de bien au travail. Mettre au point une mise en page avec son équipe n’était plus un processus épuisant de conquête de l’imbécillité, mais un exercice créatif où elle combinait ses propres talents avec ceux des autres. Elle ne souriait pas plus, mais elle se sentait plus légère. Le soir, elle se trouvait à anticiper l’arrivée du Book plutôt qu’à la redouter. Parfois, elle et Andrea le parcourraient ensemble. Ces soirées étaient ses préférées.

Quant aux filles de Miranda, elles aimaient bien Andy, la plupart du temps. Au début, elles ne comprenaient pas ce que leur mère pouvait voir en elle. Pour elles, elle était trop grosse et snobinarde et riait toujours un peu trop fort. Mais au fur et à mesure qu’elles apprirent à la connaître, elles réalisèrent, chacune de leur côté, qu’elle était jolie et aimable et qu’elle avait de beaux cheveux et un sourire facile. Elle était gentille avec elles même quand elles étaient mal polies à son égard. Mieux, elle ne levait jamais les yeux au ciel et elle ne les ignorait pas.

Quand leur mère les fit asseoir un mardi soir avec un air incertain sur le visage, Cassidy devint nerveuse. Caroline également. Elles pensaient que c’était fini et que leur mère, et elles avec, allaient se retrouver comme avant. Ça aurait vraiment été la barbe !

Au lieu de cela, Miranda déclara. « Andrea et moi allons… rendre notre relation publique. »

Les filles clignèrent des yeux et soufflèrent en même temps. « Vous ne rompez pas ? » demanda Caroline.

« Non, » répondit Miranda en fronçant des sourcils. « Est-ce… ce que vous préféreriez ? »

Cassidy secoua la tête. « Absolument pas. »

« On l’aime bien, » fit Caroline. « Elle fait attention à nous. »

« Bien, » fit Miranda tout en essayant de dissimuler son soulagement. « Il y aura beaucoup de discussions. Vos amis vont le découvrir, ainsi que leurs parents. Et toute l’école va savoir. Que puis-je… que pouvons-nous faire pour vous aider à affronter tout ça ? »

Caroline regarda Cassidy. De quoi parle-t-elle ? pensèrent-elles.

« Il n’y aura pas de problème, » dit Cassidy.

Caroline ajouta obligeamment. « Le père de River Jackson a été condamné pour fraude électronique la semaine dernière et sa mère à conduit leur Mercedes jusque dans le New Jersey et y a mis le feu au milieu d’un jardin public.

Miranda leva ses sourcils. C’était une nouvelle information. « Oh ? »

Cassidy fit oui de la tête. « Ce n’est rien. De toutes façons, les lesbiennes sont très à la mode en ce moment. »

Et voila.

Le plus difficile fut de dire la vérité à Alexander. Quand Miranda décida de le lui expliquer, Andrea ne vint pas ce soir-là. Au lieu de ça, elle alla dans un bar avec Brad qu’elle avait commencé à voir de moins en moins souvent.

Comme il se doit, Alexander était scandalisé. Moins à propos de la différence d’âge, naturellement, et plus à cause du fait qu’elle avait volé la femme qu’il voyait comme la possible fiancée de Brad. Bien que cela aurait été plus facile, Miranda ne révéla pas le secret de Bradley. Alexander hurla, la calomniant pour briser le cœur de son fils. Miranda accepta chacun de ses mots calmement. Elle l’écouta, attendant qu’il en finisse. Finalement, Alexander partit de la maison comme une trombe en claquant la porte. Miranda fut très contente d’avoir envoyé les jumelles chez leur père pour la nuit.

De l’autre côté de la ville, Bradley était également furieux. Moins par le fait qu’Andrea était lesbienne, bien sûr, mais surtout parce qu’elle avait volé la femme qu’il avait imaginé comme étant sa possible belle-mère. « Elle a brisé le cœur de mon père ! » déclara-t-il.

Andy répondit doucement. « Non, ce n’est pas le cas. Ils s’aimaient bien. Ça n’a pas été plus loin. »

« Comment le saurais-tu ? » répartit Brad.

« Parce que Alex a dit à Miranda qu’elle lui rappelait ta mère. Il n’était pas vraiment amoureux de Miranda. Pas entièrement. »

Les yeux de Brad s’écarquillèrent sous le choc. Quelques secondes s’écoulèrent. « Oh mon Dieu ! Je n’avais jamais réalisé. » Il couvrit sa bouche. « Elles se ressemblent… beaucoup. »

Andy tapota son épaule. « Je sais que ta mère est morte il y a longtemps. Il a dû l’aimer énormément. » Andy était embarrassée en entendant sa voix voilée par l’émotion, mais elle imagina que si Miranda mourait, elle serait impossible à oublier. A jamais.

A la fin, ils burent à la santé l’un de l’autre. Andy promit à Brad qu’elle irait avec lui à un dîner quelques semaines plus tard pour l’aider à révéler son homosexualité à son père. C’était le minimum qu’elle pouvait faire, particulièrement alors qu’elle était si merveilleusement amoureuse de Miranda.

Ses parents et la mère de Miranda ne prirent pas bien la nouvelle malheureusement. Le père d’Andy raccrocha après qu’elle l’ait dit et sa mère pleura. Andy fit ce qu’elle put pour rester de bonne humeur et espéra que les choses s’amélioreraient avec le temps. Il le fallait, croyait-elle. Les gens pouvaient s’habituer à presque tout en leur donnant le temps.

De son côté, la mère de Miranda renifla de façon déplaisante comme si quelque chose de dégoûtant avait agressé ses narines. « Comme c’est fâcheux ! » dit-elle alors qu’elle était assise en face de Miranda pour déjeuner.

« Je suis très heureuse, Mère, » répondit Miranda alors que son cœur se serrait.

« Heureuse, » répondit sa mère d’un ton méprisant. « La vie n’a rien à voir avec le bonheur. »

A ces mots, une profonde tristesse envahit Miranda. Elle ressentit des flots de compassion pour sa mère qui n’avait pas souri véritablement depuis des décades.

Si, ça peut l’être, pensa-t-elle. Ça l’est pour moi.

Plus tard, Miranda souffrit de la première migraine qu’elle ait eu depuis longtemps et se souvint alors combien elle avait été malheureuse seulement quelques mois plus tôt. Ce soir-là, alors qu’elle rentrait chez elle, elle se sentit découragée même si elle se disait que la réaction de sa mère n’avait rien à y voir. Andy avait anticipé cet accès de mélancolie et avait incité les filles à rester en bas et à l’attendre avec elle dans le cabinet de travail. Et c’est là que Miranda les trouva toutes les trois, en train de travailler sur leurs ordinateurs portables respectifs. Elles levèrent toutes la tête, portant un sourire identique quand elle passa la porte.

« Eh bien, ça change, » dit Miranda.

« Salut, M’man, » fit Cassidy d’un ton joyeux. « On fait nos devoirs. »

« Je vois ça. » Elle embrassa Cassidy et Caroline rapidement l’une à la suite de l’autre avant de repousser les chevilles croisées d’Andrea du dessus du bureau et de s’asseoir juste au bord. « Vous vous êtes mises à l’aise. »

« Mmm, » Andy répondit avec un petit sourire satisfait. « Alors, comment c’était ? Le tremblement de terre de San Francisco ou le Grand Incendie de Londres ? »

Miranda considéra ses options, passant un temps surprenant à penser à chacune d’elles. « Ni l’un, ni l’autre. Juste une journée difficile. Aucun désastre. »

Andy fut satisfaite d’entendre ça. Elle se pencha en avant et reposa son bras en travers des cuisses de Miranda, se sentant envahie d’une douce chaleur. « Je suis contente que tu sois à la maison. »

Miranda se baissa et repoussa une mèche de cheveux du front d’Andrea avant d’y poser un doux baiser. Alors que sa tristesse commençait à disparaître, elle plaça tendrement sa main sur la joue d’Andrea. « Moi aussi. »

FIN

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© Styx63 pour la traduction 2008-09

4 réflexions sur « Cinq Minutes – 2 »

  1. Je n’ai pas vu ce film, le milieu de la mode ne m’attire pas vraiment. Mais j’aime beaucoup cette histoire et la manière dont elle est écrite. (et traduite.)De plus, je ne parle pas l’anglais. Je te remercie donc de me permettre de la connaître et de l’apprécier.

  2. j’ai essayé de trouver une histoire qui pouvait s’apprécier sans vraiment connaître le film. Mais par ailleurs, c’est plus facile de comprendre la dynamique des personnages principaux sur un film (de 2 heures) que sur une série (de plusieurs saisons) quand on lit une fanfic alors qu’on ne connait pas le film ou la série.

    Merci d’avoir laissé un commentaire 😉

  3. Wahou ! J’avais vu le film il y a un petit moment et l’idée d’un Miranda/Andy m’avait effleuré l’esprit. Grâce à toi, ça se concrétise !!
    Merci beaucoup pour cette traduction ! =D

  4. J’ai également eu le sentiment d’un possible Miranda/Andy la première fois que j’ai vu le film et je suis très heureuse d’avoir découvert ce fandom il y a quelques mois. Merci d’avoir laissé un commentaire (je transmets à l’auteure) 😉

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